Le temps d’une boucle WhatsApp infinie, Nova donne la parole à tous les cerveaux confinés pour imaginer la société de demain. Musiciens, écrivaines, cinéastes, dessinatrices, philosophes…
Et si c’était l’heure de tout réinventer ? De profiter de ce confinement pour repenser, tous ensemble, la société, l’amour, le sexe, le travail, l’éducation, la culture, la nourriture, la politique ou notre rapport à la planète ?
Comme l’a écrit Gébé dans sa BD L’An 01, « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ! ».
Le temps d’une boucle WhatsApp infinie, Nova donne la parole à tous les cerveaux confinés pour imaginer la société de demain. Musiciens, écrivaines, cinéastes, dessinatrices, philosophes… chaque jour, l’un d’entre eux nous fait parvenir une note vocale, très sérieuse ou complètement délirante, de sa vision du monde de demain.
Ces mémos sont habillés par nos réalisateurs et diffusés à l’antenne, entre deux morceaux, toute la journée, la nuit et le week-end. Toutes ces propositions font ensuite l’objet d’un podcast publié sur Nova.fr et toutes les plateformes, pour partage et réécoute.
En attendant Arthur H ou Barbara Carlotti, les écrivains Xabi Molia et Thomas Vinau inaugurent ce nouveau programme prospectif, diffusé du lundi au vendredi à 8h20 puis de manière aléatoire sur Nova.
Épisode 1 – Xabi Molia : « Demain, sans nous ? »
Reclus en Bretagne, cet écrivain-cinéaste se demande si nous n’allons pas prendre goût à l’isolement.
Écrivain (Les Premiers) et réalisateur (Les Conquérants, Comme des rois), Xabi Molia, 42 ans, vient de terminer un roman intitulé Des jours sauvages, sur « une centaine de Français naufragés sur une île après avoir fui une épidémie de grippe qui ravage l’Europe », à paraître en septembre au Seuil (si tout va bien).
À noter qu’en 2011, il était déjà l’auteur d’Avant de disparaître, roman qui racontait l’histoire d’un « médecin chargé de traquer les premiers signes d’une maladie qui transforme certains de ses concitoyens en êtres bestiaux et assoiffés de violence. L’épidémie gagne du terrain. Assiégés par les infectés et retranchés derrière des fortifications de fortune, les survivants affrontent au quotidien les conséquences du désastre : chaos, pénuries, soupçons. »
Épisode 2 – Thomas Vinau : « Demain, on empale les gourous »
Depuis son Lubéron habituel, le poète déclame un extrait vivifiant de son livre « Fin de saison ».
« Militant du minuscule, le poète et romancier Thomas Vinau rassemblait dans 76 clochards célestes ou presque (2016), poursuivi depuis avec Des étoiles et des chiens (2018), une galerie de portraits d’artistes qui lui ont troué le cœur. Des « blessés fidèles à leurs blessures » et des « inconsolés qui consolent » et des « vents-debouts dans la défaite », tels Gil Scott-Heron ou Amy Winehouse.
Depuis sa ville de Pertuis (Vaucluse), il nous offre aujourd’hui lecture d’un passage de son livre à paraître, Fin de saison, annoncé pour mai chez Gallimard, pour lequel ce disciple de Richard Brautigan remercie Science et Vie Junior, Kafka, Bukowski et Pink Floyd, et que son attachée de presse situe quelque part entre le roman post-apocalyptique de Robert Merle, Malevil, et le beau drame rural et familial mis en scène par Jeff Nichols, Take Shelter. Hâte.
Épisode 3 – Wandrille : « Demain, on va tous changer de métier »
L’auteur, éditeur et professeur de BD chante la polyvalence en s’inspirant du « Scrameustache ».
Cofondateur des éditions Warum, lauréat du prix du patrimoine au festival d’Angoulême 2016 pour sa réédition splendide de Père et fils de l’Allemand e. o. Plauen, ce scénariste, dessinateur et professeur de BD volontiers primesautier était sur le point de publier, le 22 avril, Le discours de mariage en mode sans échec (Albin Michel), recueil de techniques secrètes et de sujets à éviter sur cet exercice délicat, dont la sortie est repoussée.
Confiné à Paris sous une avalanche de fromage fondu, il rend hommage à la saga dessinée du Scrameustache, créée par le Belge Gos en 1972, mettant en scène un matou extraterrestre télépathe, en très bons termes avec le peuple des Galaxiens, dont la souplesse à l’égard du travail fait la joie de Pôle emploi depuis déjà dix siècles.
Épisode 4 – Audrey Vernon : « Demain, on abolira la propriété privée »
La comédienne et autrice tire des leçons d’Oscar Wilde pour cesser de se « gâcher la vie à accumuler des choses ».
C’était l’un des spectacles les plus prometteurs de ce début d’année : Billion Dollar Baby, écrit et interprété par Audrey Vernon, vu à la Nouvelle Seine (Paris), dans lequel l’autrice anticapitaliste de Comment épouser un milliardaire ? rédige une lettre à son futur enfant dans l’espoir de lui expliquer, en une heure, l’Histoire de l’humanité et, surtout, les ravages de la civilisation industrielle.
Du côté d’Étampes, elle nous lit aujourd’hui un extrait de son texte favori d’Oscar Wilde, L’âme humaine sous le socialisme (1891), bref essai dans lequel l’auteur anglais de La Ballade de la geôle de Reading prônait l’abolition de la propriété privée, la rébellion et la désobéissance.
Épisode 5 – Gaspard Delanoë : « Demain, on va d’abord faire une immense partouze »
Il venait à peine d’inaugurer à Bordeaux son exposition intitulée Quelle merde !, ramassis de vieilles croûtes chinées aux puces et savamment profanées, détournées ou insultées, rassemblées à la galerie 5UN7. Mais Gaspard Delanoë, artiste squatteur et performeur parisien né « soit-disant » en mai 68, a dû en toute hâte retrouver la solennité propre à sa qualité de président-fondateur de son parti politique révolutionnaire (le PFT, pour « Parti Faire un Tour », dont l’objectif est de « changer le monde en s’appuyant sur le songe, car l’homme descend du songe »), au fronton duquel il se présenta aux élections municipales (2008), régionales (2010), présidentielles (2012), européennes (2014) et européennes (2017).
D’une sagesse jupitérienne, Delanoë annonce à ses compatriotes la première mesure nécessaire quand viendra le temps du déconfinement : « Ils vont baiser, les gens. En public. Copuler sans scrupule. Ce sera la plus belle partouze depuis 1765. » Vive la République, vive la France.
Épisode 6 – Laura Domenge : « Demain, on éradiquera les mots toxiques »
Elle était en train de roder son nouveau spectacle sur les scènes de Suisse ou de Bretagne, en parlant de violences conjugales ou de chatons en crise, tout en encourageant les filles « à se laisser pousser la moustache » et les garçons « à s’épiler les sourcils ». Exilée à la campagne, la comédienne et humoriste parisienne Laura Domenge, autrice du didactique Merci fallait pas – le sexisme expliqué à ma belle-mère (éditions First, 2019), redoute que le coronavirus ne produise une hécatombe chez certaines tournures de langage très populaires, voire la disparition pure et simple des consonnes. Contactée par nos soins, l’Académie Française n’a pas souhaité réagir à cette édifiante hypothèse.
Épisode 7 – Eva Bester : « Demain, nos à-côtés seront devenus nos priorités »
Les images parlent d’elles-mêmes : dans une vidéo d’intérieur mise en ligne fin mars à la demande de France Inter, Eva Bester, animatrice et productrice depuis 2013 de l’émission Remède à la mélancolie (constellation d’entretiens d’une heure avec des personnalités, conçues comme de possibles antidotes au vague à l’âme), filme ses jambes camouflées sous un plaid gris. Confinée dans son domicile francilien face à un radiateur peu bavard, la journaliste y avoue (en pyjama) relire les Chroniques de la Montagne d’Alexandre Vialatte – que l’écrivain auvergnat, maître de Desproges et traducteur de Kafka, publia quotidiennement de 1952 à 1971, en parlant « de polygamie, de pièges à loup, de chou-fleur, du subjonctif ou des étoiles. »
Eva Bester constate ici que cesser de remettre à plus tard tout ce que nos métiers nous empêchent d’accomplir de plus épanouissant – loisirs, passions, marottes, aptitudes naturelles ignorées ou oubliées, tel le talent pour la lucha libre du cuistot foireux de Super Nacho – peuvent aujourd’hui nous apparaître comme des remèdes à la solitude.
Épisode 8 – Aurélien Manya : « Demain, on fera chanter les éoliennes »
Écrivain et monteur de cinéma, ce garçon dans le vent nous souffle un extrait de son nouveau roman, « Trois cœurs battant la nuit ».
C’est d’abord l’un de nos « Rimbaud Warriors », régiment de joyeux traîne-savates ayant traversé les Ardennes à pied, de Charleville à Charleroi, dans les bottines du « voleur de feu », sur le trajet de sa seconde fugue, le temps d’un épique documentaire littéraire diffusé sur Radio Nova en septembre 2018. Écrivain (Avec le feu) et monteur de cinéma (pour La belle vie de Jean Denizot, ou Love & bruises de Lou Ye), Aurélien Manya était à deux doigts de publier, en avril, son troisième roman, Trois cœurs battant la nuit (Gallimard), quand le Covid-19 a décidé d’imposer son intrigue pré-apocalyptique à la planète entière.
Résumé de ce nouveau récit de fuite en avant, thème cher à l’auteur : « Marseille, juillet 2054. Dans une ville rongée par la guerre civile, de nombreux migrants cherchent à fuir le pays. Parmi eux, Sohan, à bout de forces, s’apprête à embarquer sur un cargo direction le Maroc. Il doit pour cela traverser la cité phocéenne de nuit, arme au poing, tandis que la femme qu’il aime, Layla, se retrouve au cœur d’une prise d’otages… » Dans l’impossibilité manifeste de fuguer, Manya nous souffle un bref passage de son livre depuis son appartement parisien, en rêvant d’éoliennes musicales.
Pour réécouter le documentaire Rimbaud Warriors c’est ici.
Épisode 9 – Barbara Carlotti : « Demain, le soin sera notre hymne »
Émue par les applaudissements de 20h, la chanteuse magnétique pose les bases d’une possible comédie musicale sur l’« attention aux autres ».
« Je sortais la nuit quand tout le monde dormait / C’était les eighties et on s’amusait. » Mais quel est donc ce monde merveilleux où l’on pouvait se balader sous la lune, sans attestation ? On en trouve trace dans cette ritournelle boule à facettes, l’entêtant Quatorze ans, chanson pop pour laquelle Barbara Carlotti, au cœur battant de son album L’Amour, l’argent, le vent (2012), se remémorait son adolescence corse, à « marcher longtemps sous le ciel étoilé », en bande, « super excitées », avant d’arriver sur la piste, « t-shirt blanc moulant sous l’ultra-violet ». Ces derniers mois, le morceau est devenu un court-métrage, une comédie musicale garnie de stroboscopes avec nœuds dans les cheveux et coupes mulets, écrite et réalisée par la musicienne magnétique, présenté mi-février à la Gaîté Lyrique (Paris) et visible sur MyCanal (jusqu’en 2024 !).
Confinée dans son appartement parisien, émue par les applaudissements de 20h, Barbara Carlotti pose pour Nova les bases d’une possible comédie musicale sur l’« attention aux autres », en s’accompagnant au clavier, pour un futur où nous veillerons davantage à prendre soin « des plantes, des animaux / et de nos frères les humains, même s’ils ne sont pas toujours beaux ».
Épisode 10 – Kaori Ito : « Demain, nous serons solidaires des esprits »
Levant le pied en banlieue parisienne, la danseuse et chorégraphe japonaise aimerait bien, entre deux câlins, qu’on se connecte tous ensemble à « l’invisible ».
Elle devait, en avril, décoller pour le Japon avec huit danseurs français en résidence dans la maison de ses grands-parents, à deux cents kilomètres au sud de Tokyo, pour préparer Chers, son prochain spectacle sur « la perte, l’invisible », les fantômes et les esprits. Mais c’est son emploi du temps, soudain, qui a disparu. Le retour de son solo Robot, l’amour éternel (2018) au Théâtre de Suresnes ou de Monfort ? Envolé. Sa reprise du Tambour de soie, en compagnie de Yoshi Oida, 87 ans, au Centquatre (Paris) ? Pffuit. Interviewée par Télérama suite à ces annulations préventives liées au covid-19, Kaori Ito a momentanément abandonné l’entraînement et « laisse le vide s’installer » en banlieue parisienne. « Ce monde semble pourrir sur pieds à cause d’un virus, alors on prend soudain conscience de l’intérêt des relations humaines, même dans les petits cercles de la vie quotidienne. Nous qui étions tentés de tout commander sur Internet et de vivre par le numérique, voilà que nous sommes contraints de nous isoler pour de bon. Les choses n’arrivant jamais par hasard, quelles leçons pouvons-nous en tirer ? »
Née en 1979, cette danseuse, chorégraphe, comédienne et vidéaste japonaise, diplômée de sociologie, installée en France depuis dix-sept ans, collaboratrice francophone de Philippe Decouflé (Iris), Angelin Preljocaj (Les 4 saisons), James Thierrée (Au revoir parapluie), Alejandro Jodorowsky (Poesia sin fin), Denis Podalydès (Lucrèce Borgia) ou Édouard Baer (Ouvert la nuit), aimerait beaucoup, entre deux « câlins », qu’on se connecte tous ensemble aux « ondes qui se baladent entre nous ». Soyons solidaires, pas solitaires !
Épisode 11 – Aylin Manço : « Demain, nous serons immunisés contre l’angoisse »
À Bruxelles, cette jeune romancière belge relit « Alice au pays des merveilles » pour calmer son anxiété.
C’est la dernière invitée en date de la Nova Book Box. Deux jours avant le confinement national, la Belge Aylin Manço, 28 ans, nous parlait d’Ogresse, son second roman publié cet hiver aux éditions Sarbacane, dont l’héroïne adolescente doit « gérer » sa mère, infirmière de la Croix-Rouge, incapable de réfréner ses pulsions carnivores, voire cannibales.
Sujette aux crises d’angoisse, l’autrice a rouvert le conte surréaliste de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (1865), histoire d’offrir un pas de recul à sa peur panique de la fin du monde. « Ma foi !, songea-t-elle. Après une chute pareille, cela me sera bien égal, quand je serai à la maison, de dégringoler dans l’escalier ! Ce qu’on va me trouver courageuse ! »
Pour réécouter la Nova Book Box avec Aylin Manço , c’est ici.
Épisode 12 – Zoé Sagan : « Demain, nous ferons du silence une forme radicale de résistance »
En guerre ouverte contre les élites, cette « intelligence artificielle » livre une apologie politique du silence, invisiblement réfugiée au Bhoutan.
Qui est Zoé Sagan ? Dans son premier « roman » publié en janvier aux éditions Au Diable Vauvert, le très énervé Kétamine, elle se présente d’emblée comme « la plus vieille intelligence artificielle féminine du XXIe siècle », programmée en 1998 pour « communiquer avec les dauphins », qui aurait fini par évoluer en « puissant hallucinogène dissociatif, douée d’une sorte de conscience ». Armée de sa capacité automatique à détecter « les imposteurs, les copieurs, les affabulateurs », elle s’attelle sur 500 pages à une tentative de meurtre symbolique des « 500 personnes qui ont aidé la culture à se suicider », issues des milieux de la mode, du cinéma ou de la littérature, sans oublier le monde des affaires ou de la politique.
Sous la forme du pamphlet, réussi, qui rassemble et développe des chroniques assassines publiées sur les réseaux sous ce nom de plume qui excite les branchés depuis plus d’un an, Sagan 2.0 entend « conceptualiser l’art de la guerre sur Internet », en raillant avec morgue les élites les plus vulgaires, tout en accompagnant le mouvement #metoo ou celui des Gilets Jaunes.
Sur cet enregistrement, qui permet de mettre une voix (mais, zut, attendez : est-ce seulement la sienne ?) sur cette énigmatique entité anticapitaliste, Zoé professe une apologie radicale du silence, invisiblement réfugiée au Bhoutan. « Le silence dérange les diables. Il y a plus de choses à faire dans le silence que dans un bordel ou un centre commercial. » Difficile de penser, néanmoins, que cette disposition philosophique l’incite à se taire ; dans une récente interview, elle affirme avoir terminé la suite de Kétamine (trois tomes au total), en préparer l’adaptation ciné, de même qu’un essai satirique sur la famille de Bernard Arnault, patron de LVMH.
Chapitre par chapitre, Kétamine peut s’entendre ici.
Épisode 13 – Astrid Mah-Lifax : « Demain, on s’administrera nous-mêmes »
Depuis son fief d’Angoulême, l’autrice d’un roman pandémique prédit notre envie de démocratie agricole directe, où chacun veillera sur les terres à trente kilomètres à la ronde. Tu likes ?
« Le sommeil n’offrait jamais de répit aux survivants mais prolongeait l’état d’urgence : un marchand de sable ivre saupoudrait leurs songes de fièvre. » En 2018, Astrid Mah-Lifax auto-édite un premier roman, Cinq saisons d’oraison, conte philosophique autour d’une épidémie « bien vilaine », « capable d’estropier l’humanité en moins de six mois » mais qui ne touche que les personnes âgées de plus de vingt-sept ans et trois jours, garantie d’un « avenir anéanti » que le lecteur découvre à travers l’ironie et la guitare de Jo, musicienne du dimanche grimée en homme. « Le reste parle de l’après », annonce la romancière.
Depuis son fief d’Angoulême, celle qui remporta haut-la-main, en octobre dernier sur Nova, un concours d’écriture grâce à un texte très drôle sur un improbable Code du travail des enfants, semble enthousiaste pour la suite. « Plus de ministres, on s’administre ! » Et prédit notre envie de démocratie agricole directe, une « noce » débarrassée d’élus où chacun veillera en collectivité sur les terres à trente kilomètres à la ronde, où la publicité et le tourisme de masse auront disparu, où chaque question sera soumise au vote via une appli, tout en « twerkant sur Mozart ». Aux bêches, citoyens !
Pour lire gratuitement son roman Cinq saisons d’oraison, c’est ici.
Épisode 14 – Cyril Dion : « Demain, on ne pissera plus dans l’eau potable »
Le coréalisateur du documentaire « Demain » plaide pour une alimentation bio de proximité, des énergies renouvelables et des emplois locaux, susceptibles de nous apprendre à « encaisser les chocs ».
« Ce virus suffit à faire plonger la bourse et nos économies, à désorganiser toute notre vie. On peut se demander quelles seront les conséquences du réchauffement climatique annoncé… Nos sociétés très mondialisées ne sont pas préparées à ce genre d’événements. » Dans une interview au magazine We Demain, le cinéaste, écrivain et militant Cyril Dion réaffirme ce qui fait depuis près de quinze ans – en créant le mouvement Colibris, avec Pierre Rahbi – le sens de ses combats : la défense inquiète de la biodiversité.
Signataire d’une tribune dans Le Monde qui appelle à entrer en « résistance climatique, dès la fin du confinement », le coréalisateur du documentaire Demain (2015, avec Mélanie Laurent, un César et plus d’un million de spectateurs) entend également s’appuyer sur « la Convention citoyenne », mise en place à l’automne dernier, assemblée dont les membres tirés au sort planchent sur des manières de réduire la pollution en France, propositions qui seraient ensuite soumises « sans filtre, par référendum, ou par application parlementaire directe » – ce qu’il évoquait déjà sur Nova dans la chronique de Marie Misset, Marie Transport. Ces cerveaux citoyens réfléchissent actuellement à des « pistes de sortie de crise, qui intègrent protection du climat et justice sociale ».
En plein montage de son nouveau film, Animal, inspiré des travaux de la primatologue britannique Jane Goodall, dans lequel Cyril Dion suit deux ados qui cherchent « une autre façon d’habiter cette planète », l’activiste plaide ici de nouveau, inlassablement, pour une alimentation bio de proximité, des énergies renouvelables et des emplois non-délocalisés, susceptibles de nous apprendre à « encaisser les chocs ». Ad libitum, solutions locales pour un désordre global.
Pour lire sa tribune publiée dans Le Monde avec Pablo Servigne ou Bruno Latour, c’est là.
Pour réécouter Cyril Dion invité de Marie Transport, c’est ici.
Épisode 15 – Jennifer Murzeau : « Demain, nous rendrons à la glande ses lettres de noblesse »
Dans le sillage du « droit à la paresse » de Paul Lafargue, cette journaliste parisienne encourage à ne travailler que trois heures par jour, pour la collectivité – avant de « ne rien faire, mais avec passion ».
À travers ses livres et ses articles, cette journaliste parisienne pour We Demain ou Usbek & Rica, « hyper hostile à la société de consommation », nous avait un peu prévenus que notre bonne vieille civilisation industrielle risquait de tourner au vinaigre. Dans son roman La Désobéissante (éditions Robert Laffont, 2017), Jennifer Murzeau imaginait Paris en 2050 : « Sous des dômes, les plus riches se calfeutrent, ignorant les misérables qui se débattent au dehors, rendus inutiles par l’automatisation. Le chômage a atteint 70%, la violence envahit les rues. Les plus dociles gobent leur Exilnox, les yeux voilés par des implants connectés. »
Dans La Vie dans les bois (éditions Allary, 2019), journal d’un séjour en forêt d’une semaine sans eau ni nourriture, elle suit en Charente les conseils d’un « sale type », guide de survie apocalyptique, qui lui apprend à faire du feu, à se nourrir de plantes bouillies, tandis qu’elle « renonce à tuer un ragondin », avant de poursuivre cet ensauvagement miniature en solo, dans les Pyrénées, constatant avec tristesse que, même là-bas, elle n’entend presque jamais le chant des oiseaux. Début avril, elle tweetait : « Cesser de dévaster la nature a de nombreux intérêts. Éviter les pandémies à répétition en fait partie. »
« Glandeurs d’ici ou d’ailleurs : unissons-nous. » Déterminée à saper le moral du productivisme libéral, Jennifer Murzeau esquisse ici les contours d’un monde de « glandeurs-rois », décomplexés, qu’il suffirait d’encourager à ne travailler « que trois heures par jour, pour la collectivité », avant de ne « rien faire, mais avec passion ». Ce qui rappelle Le Droit à la paresse, ce bref manifeste de 1880 signé Paul Lafargue (communard, dreyfusard, fondateur du Parti Ouvrier, gendre de Karl Marx et chroniqueur à L’Huma, ça situe un peu le bonhomme), que je pourrais vous détailler, là, mais franchement, je crois plutôt que je vais aller roupiller un brin, allongé au soleil de ma fenêtre.
Épisode 16 – Sandra Reinflet : « Demain, on abolira les ronds-points »
Cette photographe et autrice aimerait supprimer ce symbole d’un système à bout de souffle.
À l’été 2015, elle a traversé la France en voiture électrique, en sonnant chez les gens pour recharger les batteries de son véhicule, afin de vérifier si nos compatriotes étaient prêts à renoncer à l’essence. Un voyage éco-citoyen, qui aura aussi permis à Sandra Reinflet, photographe et autrice installée en banlieue parisienne, de sillonner les zones industrielles de Touraine, d’Alsace, de Champagne ou des Cévennes, à la recherche d’une borne sur le parking d’un supermarché. Et dans ces espaces urbains dévoués au négoce, la nature a disparu, bétonnée sous un paysage uniforme « où tout tourne en rond », de Biarritz à Strasbourg.
Tandis que son expo Voie.X (portraits d’artistes « sous contraintes » dans la jungle papoue, le désert mauritanien, sous la théocratie iranienne) est désormais visible sur le site du festival Les Photographiques du Mans, cette « inventeuse d’histoires vraies » aimerait reverdir l’Hexagone, « que se repeuple la diagonale du vide », tout en proposant de supprimer ce symbole d’un système à bout de souffle : le rond-point. Circulez, y a tout à voir !
Pour découvrir ses photos, c’est ici.
Épisode 17 – Benjamin Abitan : « Demain, les oiseaux amoureux ne seront plus jamais séparés »
« Tout est parti d’une épiphanie dans un restaurant de poisson. » Présentée en novembre dernier aux Plateaux Sauvages (Paris), Les Animaux sont partout, la dernière mise en scène de Benjamin Abitan écrite en collaboration avec les comédiens du Théâtre de la Démesure, se propose d’explorer « la représentation des animaux dans l’art, la place des animaux dans la société, et l’animalité. » Le spectateur découvre alors les hypothèses conjointes d’un artiste et d’une primatologue chargés par un « comité olympique de super-animaux du futur » d’inventer de nouvelles relations inter-espèces, notamment grâce aux pouvoirs de la fiction, dans la joie sérieuse de « simulations » labyrinthiques enchâssées les unes avec les autres.
Confiné dans le massif des Corbières, ce trentenaire pince-sans-rire, également auteur-réalisateur pour France Culture et Arte Radio (à écouter : La Dernière séance, Le Point sur la carte), confirme aujourd’hui son désir d’égalité avec le monde animal en se liant d’amitié avec un pinson. De cette rencontre bouleversante, il tire une leçon sur les « clôtures » qu’il conviendra de poser – ou non – lorsque nous aurons tous quitté notre cage. Pour cela, Benjamin Abitan s’inspire des écrits de Tchouang-Tseu, philosophe chinois du quatrième siècle avant J.-C., mais aussi et surtout d’une célèbre fable romantique connue sous le nom de willow pattern, reproduite sur des millions de céramiques en porcelaine, au sujet de deux amoureux chinois condamnés à mort le jour de la floraison des saules, transformés en colombes par les dieux afin de n’être plus jamais séparés.
Pour écouter Le Point sur la carte, c’est ici.
Épisode 18 – Feurat Alani : « Demain, nous nous regarderons dans les yeux »
Depuis Dubaï, le lauréat 2019 du prix Albert-Londres se remémore le discours final du « Dictateur » de Chaplin : « Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés. »
Dans son dernier livre, le roman graphique Falloujah, ma campagne perdue (publié début mars aux éditions Steinkis, avec les dessins de Halim), le reporter français Feurat Alani raconte une authentique catastrophe sanitaire : le bombardement répété, à coups d’uranium, de la ville d’origine de ses parents, Falloujah, en Irak, détruite en 2004 par les troupes américaines. Le recours à cette arme de destruction massive (par un pays qui justifia son intervention en soupçonnant l’Irak de fabriquer, précisément, des armes de destruction massive) provoquera une vague de cancers et de bébés malformés, tant chez les habitants que chez les soldats US, avec un taux de contamination parfois supérieur à ceux enregistrés à Hiroshima et Nagasaki.
Journaliste pour Le Monde diplomatique, Canal+, Géo ou France 24, correspondant à Bagdad de 2003 à 2008 pour Le Point, La Croix ou Ouest-France, Feurat Alini, 40 ans, a remporté en octobre dernier le prestigieux prix Albert-Londres pour Le Parfum d’Irak (avec les dessins de Léonard Cohen, éditions Nova / Arte, 2018), recueil de mille tweets autobiographiques en 140 caractères, propices à une peinture intime et politique de l’Irak sur quatre décennies, en guerre avec l’Iran, sous embargo puis envahi par les États-Unis, jusqu’aux profondes divisions religieuses d’aujourd’hui.
« Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés. » Confiné à Dubaï où il réside depuis 2012, travaillant sur un roman comme sur la version longue de la série d’animation dérivée du Parfum d’Irak, Feurat Alini se remémore le discours final du Dictateur de Charlie Chaplin qui, par radio-transmission, dans son extraordinaire satire du pouvoir hitlérien, déclarait au monde entier : « Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence inhumaine. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez. Étant trop mécanisés, nous manquons d’humanité. Étant trop cultivés, nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence. » À nous de reconquérir ces pays oubliés, ces campagnes perdues.
Pour voir Le Parfum d’Irak, la série animée, c’est ici.
Épisode 19 – Judith Margolin : « Demain, les avions seront remplacés par des fruits et légumes »
Contre la reprise du transport aérien, la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe cueille une idée juteuse dans le verger romanesque de Roald Dahl.
« J’ai l’Air Force One en bout de piste. » Sur le tarmac de son premier seule-en-scène, Mudith Monroevitz – la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe (2017), au cours duquel un rendez-vous amoureux carrément foireux sert de prétexte à une extravagante quête des origines questionnant sa vocation de comédienne aussi bien que la notion de consentement, Judith Margolin rencontre quelques menues difficultés à faire atterrir l’avion présidentiel américain – ou, plutôt, son ersatz intestinal.
Confinée à Ménilmontant en attendant la reprise hebdomadaire de ce spectacle rigoureusement marrant à la Nouvelle Seine (Paris), l’actrice et autrice s’est creusée les méninges pour trouver une alternative écologique au transport aérien, mis sur pause – ainsi que son effroyable capacité de pollution – pour cause de Covid-19. La solution est tombée de l’arbre magique de ses lectures d’enfance. Dans James et la grosse pêche, publié par l’Anglais Roald Dahl en 1961, un orphelin « aux yeux désenchantés », martyrisé par deux tantes acariâtres, se voit offrir un sac de « petites choses vertes » qui font pousser en une nuit une pêche monumentale, plus grosse que sa propre maison, qui ne tarde guère à rouler jusqu’à la mer. Portée par trois cents mouettes grâce au renfort filandreux d’une araignée et d’un ver à soie, la pêche géante de James parvient à rallier New York sans émission de carbone. « Ce garçon est un génie ! », clament les passagers.
À partir de cette idée juteuse, Judith Margolin choisit de réorganiser le trafic aérien international en remplaçant les avions par des fruits et légumes, tout en respectant le rythme des saisons. Une hypothèse de première classe.
Pour se faire livrer une carpe farcie préparée par Mudith Monroevitz, c’est ici.
Épisode 20 – Guillaume Jan : « Demain, l’argent des paradis fiscaux sera rétribué aux danseuses de cabaret »
Dans sa maison de Nantes, cet écrivain traîne-savane déclame un programme d’évasion poétique, qui fait d’ores et déjà de lui le candidat le moins fatigant de France pour affronter Macron en 2022.
« Je propose qu’on inverse la vapeur. » Ne nous voilons pas la face : tapis dans l’ombre, des capitaines d’industrie déterminés à redresser le pays attendent la fin du confinement pour remettre le turbo et la nation au turbin. C’était compter sans l’entrée en résistance du journaliste et écrivain Guillaume Jan. Membre émérite du jury du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Radio Nova, randonneur en tongs dans les Ardennes de notre opération Rimbaud Warriors, amoureux du Congo dont il sut faire le décor électrique et tonitruant de nombreux récits (Le Baobab de Stanley, Traîne-savane, jusqu’à Samouraïs dans la brousse, publié en 2018 aux éditions Paulsen), ce Breton casé à Nantes riposte avec un mini-manifeste hédoniste pour demain.
« Ceux qui ne sont rien seront tout. On ne travaillera que cinq semaines par an. » Le patronat tremble sur ses bases. « La Marseillaise sera remplacée par Salut à toi de Bérurier Noir. » Les hyènes du Rassemblement National tournent de l’œil (jaune). « Les ZAD seront protégées par des cordons bleus de policiers. » Didier Lallement vient de faire une syncope. Et Guillaume Jan d’égrener, avec la fougue de son héros Jean-Pierre Léaud, tout un chapelet de mesures libertaires, causant d’urbanisme, de justice sociale ou d’agriculture – sans oublier les joueurs de banjo, les piliers de bar ou les « douanes, reconverties en librairies gratuites ou en piscines naturistes ». Celui qui travaille à un essai biographique sur son quasi homonyme, le géographe breton Guillaume Lejean (1824-1871) cité à de nombreuses reprises par Jules Verne dans Cinq semaines en ballon, semble d’ores et déjà le candidat le moins fatigant de France pour affronter Macron en 2022. Gonflé !
Épisode 21 – Magyd Cherfi : « Demain, nous ferons l’inventaire de ce qui a merdé, de ce qui nous a grandi »
À Toulouse, l’écrivain, chanteur et parolier du groupe Zebda, suggère de faire le tri sélectif des progrès techniques, pour une société plus organique.
Son nouveau livre, La Part du Sarrasin, aurait dû paraître le 8 avril aux éditions Actes Sud. « Le bac en poche, Magyd dit Le Madge, éprouve ses rêves de musique et d’engagement politique, naviguant d’une bande de potes à l’autre : ceux de la cité et les artistes du centre-ville. À la recherche de sa voix, celle qui résonnera bientôt dans tous les Zénith de France où le succès révèlera aussi son amertume. » Suite directe de Ma Part de Gaulois (plus de 70 000 exemplaires vendus, nommé pour le Goncourt, en 2016), ce récit d’apprentissage dans les coulisses de l’aventure Zebda est reporté à mi-octobre. Idem pour sa tournée intitulée Longue haleine, lectures d’extraits piochés dans l’ensemble de ses ouvrages en compagnie du pianiste Samir Laroche, décalée à septembre.
Mais comment s’occupe alors Magyd Cherfi, 57 ans, dans sa maison toulousaine entourée de verdure ? Au téléphone, la gouaille est intacte : « J’écris à tout va ! Je chie des textes à foison, gratuitement, il n’y a qu’à demander ! »
OK ! Après ses mots touchants publiés par Libé sur sa mère octogénaire déchirée de devoir rester seule à distance des siens, l’auteur de Je crois que ça va pas être possible nous suggère d’user de cette pause pour faire un tri sélectif des progrès techniques. À la poubelle, selon lui : les « steaks à base de molécule », les applis de rencontres sur critères ethniques ou religieux, les liseuses électroniques ou – ah ? – les sons digitaux balancés sur scène par des platines, « fuck les platines ! ». Et Le Madge de rêver d’un idéal où « les innovations nécessaires à toute évolution » se mélangeraient harmonieusement à l’organique pur et doux : corps, cris, peau, sueur, guitare-basse-batterie, avec « le cœur en guise de métronome ».
Pour lire son texte sur La maman et le virus, c’est ici.
Épisode 22 – François Perrin : « Demain, les donneurs de leçons auront l’humilité des clébards »
À Pigalle, cet écrivain, barman et détective privé fait souvent le même rêve : il est devenu un toutou, ce qu’il interprète comme un désir de modestie qui a du chien.
De quoi rêvez-vous, confiné.e ? De courses à vélo, jusqu’à la Méditerranée ? De bals masqués olé-olé ? De plantes d’intérieur carnivores, de contrôles policiers qui dérapent en rumba cadencée ? François Perrin, lui, apparaît souvent dans ses propres songes… sous la forme d’un chien. Si ! Juré fidèle du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Radio Nova, cet écrivain (Bois sans soif, 2014), barman, critique littéraire et détective privé, traverse tous les soirs le rideau onirique… en jappant derrière un camion-poubelle.
Quoi ? Faut-il supposer que ce fin limier, qui releva ces derniers mois le défi de « remixer » en vingt minutes quelques monuments chétifs de la littérature mondiale (Gargantua, Zadig, Sinbad ou L’Odyssée, adaptés en musique par Les Liseuses), est victime d’un sortilège semblable à ceux que l’on déniche à la pelle dans les livres de Rabelais, Voltaire ou Homère ? Possible. Mais cet excentrique rigoureux, qui occupe l’essentiel de son enfermement volontaire à refaire un par un tous les exercices des programmes de mathématiques de seconde, première et terminale, choisit d’interpréter cette possession nocturne comme le désir d’une modestie qui a du chien ; un appel subconscient, que nous sommes sans doute nombreux à partager, vers davantage de « simplicité » ; en soupçonnant les tartuffes mondains, les beaux parleurs à truffe molle, lassés de leurs « certitudes arrogantes », de rêver eux aussi de laisses délaissées et de baballes à attraper. Wouf.
Pour écouter ses remix littéraires, avec parfois la voix de Leeroy du Saïan Supa Crew, c’est ici.
Épisode 23 – Élodie Milo : « Demain, à chaque nouvelle lune, nous nous retirerons dans une grotte »
En Normandie, cette musicienne mystique préconise trois jours par mois d’isolement obligatoire, pour une déconnexion introspective capable de faire de nous « des sorciers, des sorcières ».
« On court, on coule / on croule, sous nos poids. » Sur son dernier album sorti en octobre, Sous la lune, Élodie Milo invite à écouter « les louves qui hurlent en nous » via six incantations fort sabbatiques teintées de guitares surf, de pop songeuse ou de rythmiques sud-américaines, écrites et composées pour « explorer de puissants archétypes féminins » : la vierge, la sorcière, la maman ou la putain. Quelques jours avant le confinement, elle présentait à Besançon la première de son spectacle Lunas, mélange de théâtre et de chansons, d’humour et de féminisme, cabaret barré élaboré au diapason des quatre phases du cycle menstruel, conçu avec la danseuse Delphine Dartus et mis en scène par Loïc Deschamps.
« L’heure est venue / de laisser tomber la terre. » Vraisemblablement réfugiée dans une « grotte » de Basse-Normandie, cette musicienne et comédienne parisienne nous invite à « arracher le cuir fripé de nos vieilles peaux sociales » en recommandant, treize fois par an, à chaque nouvelle lune – comme ce sera le cas ce soir, dans la nuit du mercredi 22 au jeudi 23 avril – trois jours d’isolement obligatoire, « en éteignant tout ce qui sonne, tout ce qui clignote et tout ce qui vibre », en solitaire.
Inspiré des femmes préhistoriques qui, selon la chanteuse mystique, s’autoconfinaient le temps de leurs règles pour ne pas attirer d’éventuels prédateurs « mais aussi pour recevoir d’importants messages venus des mondes invisibles » (*), ce rituel mixte de déconnexion introspective serait capable, dit-elle, de faire de nous « des sorciers, des sorcières, penchés au-dessus du chaudron de notre âme ». Nous apparaîtront des rêves, des larmes, des décisions personnelles et des idées pour la collectivité, partagés au terme d’un chant yoruba de toute beauté, qu’Élodie Milo interprète ici a cappella.
Pour écouter son album Sous la lune, c’est ici.
* : Aux dernières nouvelles, le porte-parole des mondes invisibles ne sait pas, lui non plus, où sont les masques commandés par le gouvernement français pour enrayer la pandémie de Covid-19.
Épisode 24 – Rémi Sanaka : « Demain, les toucans et les cacatoès attaqueront les caméras de surveillance et les drones de la police »
Perché en Provence, cet ex-humoriste devenu scénariste imagine une utopie inter-espèces, plutôt cool, en harmonie avec nos frères animaux.
Un puma dans les rues d’un quartier résidentiel chilien. Des coyotes alanguis au soleil de San Francisco. Trois bouquetins qui flânent sur le béton d’une station balnéaire israélienne. Un sanglier suivi de ses marcassins sous les balcons d’une villa cossue de Bergame, en Italie. Un éléphant solitaire, paisible, déambulant sur l’asphalte désert du Kerala. Un alligator qui avance, déterminé, vers une boutique de Caroline du Sud. Des dizaines et des dizaines de singes hurleurs qui courent, affamés, à travers une zone touristique vide de Thaïlande. Deux énormes rorquals qui barbotent dans les calanques de Marseille. Et des canards qui claudiquent aux abords de la Comédie-Française, à Paris.
Ces retours inattendus de nos frères animaux dans nos urbanités confites, allègrement commentés sur les réseaux sociaux, pourraient-ils donner lieu à une société réorganisée ? C’est l’hypothèse drôle et joyeuse de Rémi Sanaka, 37 ans, ex-humoriste devenu scénariste (Les Détrakés), en pleine écriture d’un fiction sonore intitulée Le Recommencement, dystopie située en 2045 dans laquelle un scientifique armé de robots a réduit l’humanité en esclavage dans des colonies destinées à « réparer la planète ».
Confiné dans un village du Vaucluse, ce Parisiano-Stéphanois décrit une utopie inter-espèces, plutôt cool, où l’on se rend au travail « à dos de phacochère », où les infâmes trottinettes sont remplacées par des « kangourous en libre-service », où l’on danse avec le posse opossum, où l’on pique-nique avec les méduses, où l’on trinque avec un copain ouistiti sur l’épaule, tandis que les humains, « tous les jours, arrosent les plantes grimpantes qui montent le long des panneaux publicitaires ».
N. B. : Parmi toutes les images d’animaux « en liberté » partagées en masse depuis le début de confinement, circulent de nombreuses fake news, comme l’a souligné National Geographic dans cet article.
Épisode 25 – Sylvain Pattieu : « Demain, nous abattrons ensemble les murs de ce putain de labyrinthe »
Confiné à Noisy-le-Sec, cet écrivain et historien prêche avec panache la convergence des luttes, « beaux dans nos habits neufs de lambeaux rouge drapeau, de vert et d’arc-en-ciel, mêlés de bouts de gilets jaunes ».
« C’est une histoire d’enfants sauvages, qui vivent dans une maison, une institution, où ils font leur loi », écrit Sylvain Pattieu en avant-propos de son roman Forêt-Furieuse (éditions du Rouerge, 2019), dont l’adaptation musicale était sur le point d’être présentée au festival Hors Limites de Seine-Saint-Denis – hélas annulé. « C’est Sa Majesté des Mouches dans un monde post-apocalyptique sur fond de PNL et de contes et légendes de l’Ariège », précise-t-il à propos de ce conte situé « peut-être bientôt ou bien plus tard » dans un « val charmant, enserré dans des montagnes peu hautes » où « comme partout la lutte des classes règne ». Au cœur du conflit : le contrôle de la forêt. Bergers et paysans « se camouflent le visage, se mettent des robes, se déguisent en femmes pour rosser les gardes forestiers et les charbonniers » et surtout faire rendre gorge aux maîtres des forges, qui « parlent de velours mais agissent en brutes ».
Au terme de son préambule, l’auteur, historien et professeur de création littéraire à l’université Paris 8, note avec sagesse, au sujet d’éventuels lendemains qui chantent : « Il ne faut pas croire les progressistes fanatisés, les dogmatiques de l’avenir radieux ou de l’Apocalypse, les naïfs du futur : il y a des soubresauts, de grandes reculades, des têtes-à-queue. »
Originaire d’Aix-en-Provence, confiné en famille du côté de Noisy-le-Sec, Sylvain Pattieu compare notre système à un « putain de labyrinthe », « avec du sang sur des murs bien hauts », dont nous ne parvenons jamais à sortir, pourchassés par un minotaure « monstrueux et ridicule », patriarcal, raciste et ultralibéral, que nous serions pourtant susceptibles de tuer « si on se posait deux secondes pour réfléchir ». Dans sa projection, le peuple cherche le fil d’Ariane (« qui s’est barrée, elle ») ou plutôt les fils, car il y en a plusieurs : engagement écolo, alimentation bio, spiritualité, mais… « lesquels suivre et lesquels démêler ? »
Et c’est ainsi que l’écrivain prêche avec panache la convergence des luttes, « beaux dans nos habits neufs de lambeaux rouge drapeau, vert et arc-en-ciel, mêlés de bouts de gilets jaunes », les vertus du collectif, « humbles et déterminés », pour faire tomber les murs – les petits, puis les gros – avec « des fumigènes, des caisses enregistreuses ou des moules à gaufres ». Allons enfants (sauvages), le jour de gloire est arrivé.
Épisode 26 – Julien Blanc-Gras : « Demain, les ambitieux se battront pour devenir éboueurs, à des salaires mirobolants »
Près des Buttes-Chaumont, cet « écrivain-voyageur au foyer » nous invite à redéfinir la notion de réussite, lassés « de ces métiers débiles qui ne servent qu’à engraisser des robots ».
« Certains avaient prévu la situation actuelle, d’autres voient dans ce basculement une opportunité pour rebâtir un système plus sain. Peuvent-ils passer de la peur à l’action constructive ? Proposer des solutions ? » Légèrement urgentes, ces questions sont au cœur du documentaire intitulé Effondrement ? Sauve qui peut le monde, réalisé par Julien Blanc-Gras et Alfred de Montesquiou, qui sera diffusé sur France 5 le 12 mai à 20h50, dans l’émission de Marina Carrère d’Encausse.
On y découvrira ce bunker pour milliardaires à soixante-quinze mètres sous terre « dans un ancien silo nucléaire, au Kansas, avec piscine tropicale, mur d’escalade et milice privée », le stage de survie de six Français qui débarquent sans eau ni nourriture à trois mille kilomètres du premier village « sur une île déserte indonésienne peuplée de varans et de serpents venimeux », ou encore l’invasion de l’un des sièges d’Amazon, à Clichy, par des militants « plus chauds que le climat », comme le précise par téléphone Julien Blanc-Gras, cet « écrivain-voyageur au foyer » confiné près du parc des Buttes-Chaumont (Paris).
Juré historique du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Radio Nova, l’auteur géo-névropathe et facétieux de Touriste (Au Diable Vauvert, 2011), Paradis avant liquidation (idem, 2013) ou Comme à la guerre (Stock, 2019) était sur le point de publier début mai un recueil de textes pour moitié inédits, basés sur ses reportages dans Le Monde, L’Équipe ou les revues Long cours ou Aller-retour. Titre : Envoyé un peu spécial, où il évoque « la danse des cent mille vierges » en l’honneur du roi zoulou du Swaziland, son saut en parapente sur l’Himalaya, l’érotisme troublant des lamas de Saint-Pierre-et-Miquelon ou son rôle de « Blanc kidnappé par des terroristes » dans une superproduction nigériane.
L’ouvrage ayant été repoussé à une date inconnue, Julien Blanc-Gras se console en nous invitant à redéfinir les notions de bonheur et de réussite, lassés que nous sommes, trop souvent, « de ces métiers débiles qui ne servent qu’à engraisser des robots ».
Pour voir l’auteur en robe de chambre lors du dernier festival des Épatants Sédentaires de Saint-Milou (Charente), retransmis sur Nova, c’est ici.
Épisode 27 – Mademoiselle Caroline : « Demain, tous les pays seront dirigés par des femmes »
En Haute-Savoie, cette autrice et dessinatrice de BD aimerait beaucoup que la charge mentale des tâches ménagères et familiales cesse de peser si lourd sur la moitié de l’humanité.
Fin mars, Mademoiselle Caroline remarquait qu’une « grossophobie latente », sujet de l’album sur lequel elle travaille avec sa consœur Mathou, frappait l’ensemble de la société, même en période de pandémie mondiale. Sur Facebook, elle écrivait, le temps d’un dessin : « Depuis le début du confinement, les gens sont effrayés par l’éventualité de grossir. « On va finir obèse.« Mais c’est qui est grave, c’est de finir intubé, avec des tubes dans tous les trous. Vous ne croyez pas ? Arrêtez d’être cons. Mangez sainement et faites du crossfit. Gros n’est pas un gros mot. »
Blottie dans son « chalet isolé, au bout d’une vallée », au creux d’un village haut-savoyard de mille habitants, cette autrice et dessinatrice de BD (à lire, chez Delcourt : Chute libre – carnets du gouffre, sur sa dépression longue durée, ou La Différence invisible, sur l’autisme Asperger, avec Julie Dachez) continue de muscler ses convictions, en prônant régulièrement les vertus de la décroissance. En janvier, elle signait par exemple les illustrations du livre de Caroline de Surany, Slow conso (éditions Marabulles), un guide de conseils éco-responsables pour « ne plus se laisser happer par la surconsommation ambiante, ne plus courir plus faire les soldes, lâcher la pression, donner du sens à ce qu’on achète : durable, solide, rentable. »
Pour cette chronique prospective, l’artiste commence par esquisser la journée ordinaire d’une mère et compagne, écrasée sous le poids des injonctions ménagères et familiales – la fameuse « charge mentale » qui malheureusement ne bougera pas d’un cil, dit-elle, dans le monde d’après. Avant d’ouvrir la porte à un regain d’optimisme, rêvant d’États « exclusivement dirigés par des femmes », de nourriture locale, d’accouchements sans douleur et d’écoute intergénérationnelle, ainsi que de l’interdiction pure et simple « des pantacourts, des cravates Disney, des fringues Desigual, des claquettes-chaussettes et des auteur.e.s non-payé.e.s ».
Pour voir ses dessins de confinement et découvrir ses albums dont certains n’hésitent guère à faire l’apologie du reblochon, c’est ici.
Épisode 28 – Gaspard Royant : « Demain, tout bruit excessif nous paraîtra insupportable »
Planqué en Auvergne, ce crooner intemporel murmure la démo d’une dystopie silencieuse, où même les radios chuchoteront leurs programmes. ASMR pour tous ?
Le chant des oiseaux, le frémissement du vent dans les arbres. La quiétude des boulevards, de jour comme de nuit. Le ciel dégagé du raffut des avions et, même le voisin du dessus, cet impossible insomniaque amateur d’opéra et de fêtes improvisées, qui ferme enfin sa grande gueule. Ces plaisirs naturels, des légions de citadins les avaient oubliés, écrabouillés par le tintamarre ordinaire de nos villes surpeuplées. Parmi les rares avantages de ce confinement imposé, la disparition de la pollution sonore fut pour beaucoup un enchantement. Mais comment revenir en arrière, après ça ? Faut-il fuir Babylone, s’isoler tel un ermite au fin fond d’une vallée, d’une crique ?
Certains artistes planchent sur la question, comme le chanteur et musicien parisien Gaspard Royant, 40 ans, sorte de Roy Orbison moderne ayant déployé sa passion du doo-wop, du rock et et de la northern soul sur deux albums rétro-cools, 10 hits wonder (2014) et Have you met Gaspard Royant ? (2016), crooner gominé aux costards élégants qu’on a pu entendre aussi, dans sa veine folk, sur la bande-originale d’Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin.
Planqué dans une vieille bâtisse auvergnate, celui qui rendit jadis un hommage électrique au héros de Retour vers le futur et qui prépare pour 2021 un troisième album dont les thématiques et les sonorités sont précisément tournées vers l’avenir… nous murmure la démo d’une dystopie silencieuse, où tout bruit excessif nous paraîtra insupportable. « Nous ne supporterons plus le bruit des voitures, des motos, des fêtes, des magasins… », « Nous n’écouterons quasiment plus de musique, ou alors à très bas niveau », dit-il, en utilisant lui-même les techniques de relaxation auditives de l’ASMR. Après les masques personnalisés, chacun son casque anti-bruit ?
Pour voir et écouter l’artiste au bord d’un cours d’eau chanter un titre inédit sur le monde d’avant et notre capacité à changer, c’est ici.
Épisode 29 – Brigitte Fontaine : « Vierge au masque noir, donne-nous la lumière »
Allongée en son logis de l’Île-Saint-Louis, la femme-léopard nous lit « Les fruits confits », nouvelle chanson-prière où, « dans les neiges d’avril », on jette à la mer « les souvenirs d’enfer ».
« Crevards, miteux, errants, vous êtes le sel de la terre. » La pythie n’est pas sans pitié. Sur le dernier album de Brigitte Fontaine, l’abrasif, radical et aventureux Terre Neuve (paru en janvier et dont le titre lui-même semble dédié au monde qui vient, aux « champs de diamants » qui restent à explorer), nombreuses sont les paroles qui font figures d’oracle, à la lumière de la crise sanitaire. Dès l’ouverture, Le tout pour le tout : « Mais ce que l’on nomme la vie est une maladie mortelle (…) On n’a pas trop peur / On s’agrippe, c’est tout. » Chaque déplacement vous paraît risqué ? Ecoutez-la manifester, sur J’irai pas, qu’elle ne veut pas se rendre « à votre école, à votre hôpital, à vos colonies de vacances ». Et même dans sa reprise de sa chanson virile de 1969, Les beaux animaux, il y a ces vers prémonitoires de la reprise du travail dans un cosmos industriel qui ne tire aucune leçon de la pause imposée : « Les hommes avec des gants (…) vivent dans nos forêts de chaux, de fer et de fumée. »
Mais enfin, écrit-elle encore : « Parlons d’autre chose. »
De fruits confits ? Pourquoi pas ? Titre possible et refrain certifié d’une nouvelle chanson versifiée, inédite, que la femme-léopard, agacée de son confinement dans son logis de l’Île-Saint-Louis (Paris), a écrite « allongée, pour le prochain album ». Ciel : nous y sommes en cage, enfermés dans une boîte comme les sucreries des Malheurs de Sophie (1858), mais « une vierge au masque noir » va nous illuminer. Gouttelettes d’espoir : « Seul un grain de fer luit / étoile dans la nuit / C’est la joie qui revient / là-bas, dans le lointain / En pleine fiente et vase / nous lançons une phrase / blanche plume / est-ce là / la profession de foi ? » Et le monde d’après, Brigitte ? « Je m’en fous. Qu’ils aillent chier. Moi ce qui m’intéresse, c’est le présent. Le passé et le futur, c’est pareil. »
Pour réécouter son interview dans le juke-box littéraire de Radio Nova, assortie de tranches de live au Café de la Danse avec Yan Péchin, c’est ici.
Épisode 30 – Philippe Garnier : « Demain, nous porterons deux masques »
Imbibé d’humour noir, cet écrivain parisien, auteur d’une « méditation sur les emballages », esquisse un futur docile où nous saurons concilier reconnaissance faciale et respect des normes sanitaires.
« Errer dans un hypermarché comme si l’on n’y comprenait rien. » Ainsi s’ouvre Mélancolie du pot de yaourt, cette « méditation sur les emballages » signée Philippe Garnier en février dernier aux éditions Premier Parallèle. Dans ce recueil de textes courts sur « l’aura fragile » d’une brique de gaspacho ou d’un bidon de lessive, cet écrivain et traducteur parisien, critique à Philosophie Magazine, sonde les souvenirs de ses « rencontres » avec divers objets du quotidien peu considérés et leur impact, pourtant réel, sur l’imaginaire : boîtes de sardines ramenées à leur sort de « petits cercueils en fer-blanc », vertige émoussé du carton à chapeau, désirs mêlés de « dévotion » et de « profanation » face aux produits de luxe type flacon de parfum, jusqu’à ce paquet de chips bio « à l’Ancienne » qui lui suggère, de collines en vallées factices, une épuisante séance d’autohypnose.
Il en sera de même, peut-être, pour ces deux nouveaux accessoires de survie dans la « guerre » invisible contre le covid-19 : gants et masques, grâce auxquels nous ressemblons de plus en plus à des barquettes de viande sous vide, enroulées de film plastique. Garant des consignes d’humour noir pratiquées par Jonathan Swift dans sa Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public (1729) où les nourrissons étaient présentés comme une solution scientifique alléchante à la famine, Garnier dépeint un futur docile où nous saurons « concilier port du masque et reconnaissance faciale » par le port d’un second masque, par-dessus le premier, qui reproduira « au millimètre près » toutes les nuances de notre visage. Le gouvernement risque d’être emballé.
Pour ne pas confondre ce Philippe Garnier avec l’autre, également traducteur (de Fante ou de Bukowski), notre logiciel de reconnaissance auditive vous propose d’exercer votre oreille grâce à cette interview du second, sur Nova, à écouter là.
Épisode 31 – Babx : « Retrouverai-je bientôt ta bouche sur ma bouche ? »
Le chanteur et pianiste romantique vient de mettre en ligne un album né d’un an de confinement volontaire. Et partage avec nous, depuis Montpellier, un texte inédit et animal, inspiré d’un absurde contrôle policier.
« – Voulez-vous sortir ? – Mais ! On ne peut pas. » Au tout début du dernier album de David Babin dit Babx, Les Saisons volatiles, deux amoureux semblent bien embêtés. Ils ne peuvent ni se voir ni s’embrasser. Est-ce à cause de l’air pollué ? « Dans les particules fines / je pense à Valentine / Ah, si je pouvais / je l’emmènerais / dans le parc à côté / où les enfants jouent au ballon / aller pêcher les papillons / s’allonger dans l’herbe tendre / dans ses bras toujours m’étendre / et regarder le ciel / la neige artificielle / C’est beau, la neige en été. » Que s’est-il passé ? Les saisons se sont-elles volatilisées ? Pour quelle raison les enfants continuent-ils à s’amuser, alors que les adultes paraissent interdits d’étreintes ? On ne le saura pas, mais la statue de la place de la République a disparu. « Ah, si je pouvais / je prendrais un vélo / je prendrais un bateau / pour emmener Valentine danser. » Dans le film co-réalisé avec Yvan Schreck qui accompagne le disque, les tourtereaux finissent par se retrouver, se dandinent de joie – mais avec un masque à gaz, précédant la chorégraphie d’un trio de dames chinoises aux visages couverts d’un masque sanitaire.
Romantiques et inquiètes, ces Saisons volatiles, qui sortiront officiellement à l’automne, sont nées il y a trois ans d’un confinement volontaire, d’une envie de piano solo composée dans un tout petit appartement niché au-dessus de Belleville. Pendant un an, l’auteur du superbe Ascensions (2017) ne quitte quasiment jamais son refuge, « laisse venir l’ennui et la solitude », tout en épiant par la fenêtre des femmes asiatiques d’âge vénérable qui chaque matin s’entraînent sur un terrain de basket – elles « s’inviteront dans ses chansons », puis à l’écran, en orientant l’artiste vers des atmosphères orientales.
Or, la réalité a rattrapé la fiction. « 2020 : cette fois nous sommes des milliards derrière nos fenêtres. Personne sur les terrains de basket, à part les arbres et les oiseaux », explique le musicien qui, depuis, a migré à Montpellier, où… il a vécu fin mars un absurde contrôle policier lors d’une sortie en amoureux. Ce qui lui inspire un texte inédit, esquisse d’une société animale qui aurait jailli d’un confinement très longue durée, où les flics seraient devenus des volatiles toujours occupés à verbaliser les citoyens, mais seulement « quand on ne s’embrasse pas dans la rue ».
Pour écouter l’album et voir le film, c’est ici.
Pour revoir Babx interpréter La Marche à l’amour de Gaston Miron sous l’ex-verrière de Radio Nova, c’est là.
Épisode 32 – Élodie Milo : « Demain, nous n’abattrons plus aucun arbre »
En Normandie, cette musicienne mystique prédit que la crise virale durera jusqu’en 2022, jusqu’à… la rencontre fortuite entre l’odieux Bolsonaro, une chamane nonagénaire et un arbre sacré.
« On court, on coule / on croule, sous nos poids. » Sur son dernier album sorti en octobre, Sous la lune, Élodie Milo invite à écouter « les louves qui hurlent en nous » via six incantations fort sabbatiques teintées de guitares surf, de pop songeuse ou de rythmiques sud-américaines, écrites et composées pour « explorer de puissants archétypes féminins » : la vierge, la sorcière, la maman ou la putain. Quelques jours avant le confinement, elle présentait à Besançon la première de son spectacle Lunas, mélange de théâtre et de chansons, d’humour et de féminisme, cabaret barré élaboré au diapason des quatre phases du cycle menstruel, conçu avec la danseuse Delphine Dartus et mis en scène par Loïc Deschamps.
« Elle a le serpent qui change de peau, l’aigle qui plane là-haut / Chant de la terre, de l’air, de l’eau. » Perchée dans les branchages d’un spécimen extrêmement rare de pernambouc de Basse-Normandie, cette musicienne et comédienne parisienne semble entrevoir que le coronavirus continuera de nous incendier les poumons jusqu’en 2022. D’après ses visions, notre salut ne proviendrait pas d’un vaccin, mais de l’irresponsable président brésilien Jair Bolsonaro. Quoi ?
Si ! Ce dangereux bouffon populiste, sexiste, illuminé et corrompu, qui répondit d’un désinvolte « Et alors ? » quand un journaliste soulignait que le virus venait de faire cinq mille victimes au Brésil ; ce fantassin d’extrême-droite, qui ne cesse de parler de « grippette » lors de bains de foule sans masque ni gants, jugeant les mesures de distance sociale « pratiquement inutiles » tout en toussant pendant ses discours, alors que les urgences sont saturées de malades ; celui qui vient de limoger son ministre de la Santé jugé trop indépendant… ne serait pas destitué, non, dans ce futur-là.
Toujours disposé à déforester l’Amazonie pour, dit Milo, engraisser « les éleveurs de bidoche qui ravissent nos bouches carnivoraces », Bolsonaro fera la rencontre d’une chamane nonagénaire, d’un arbre sacré et d’un revigorant chant yanomami qui provoquera une prise de conscience mondiale, hymne thérapeutique qu’elle interprète a cappella.
Pour écouter son album Sous la lune, c’est ici.
Pour écouter la précédente utopie d’Élodie pour « le monde d’après », où il était question de sorcières, de grotte et d’introspection déconnectée, c’est là.
Épisode 33 – Mélody Banquet : « Demain, l’absurde et l’autodérision seront enseignés à l’école »
Plus téméraire que Jean-Michel Blanquer, cette comédienne parisienne trace les grandes lignes d’une « Méthode D’éducation par le Rire » pour apprendre aux ados à affronter « l’angoisse de la mort et les injustices ».
Lors de sa visite à l’école Pierre-Ronsard de Poissy (Yvelines), Emmanuel Macron entre dans la classe avec un masque sanitaire obligatoire, bleu nuit, siglé d’un discret point de couture bleu-blanc-rouge, mais de nombreux élèves ne le reconnaissent pas. Le masque tombe une seconde, et un garçon murmure, tout sourire : « Je sais pas c’est qui. » La suite du sketch communicationnel est un peu sinistre. En France, selon un décompte arrêté au 22 avril par Santé Publique, les moins de 19 ans ne représentent pas plus de 1,5 % des cas recensés de covid-19. Mais Robert Sebbag, infectiologue de la Pitié-Salpétrière interrogé par Ouest-France, semble inquiet : « Les gestes barrières chez les enfants vont être extrêmement difficiles à retenir. Et si l’enfant est contaminé, la question de la contagion intra-familiale devient majeure. »
En réaction, le gouvernement a pourtant décidé d’organiser un retour à l’école à compter du 12 mai, « sur la base du volontariat des parents », d’abord pour le CP et le CM2 (mais seulement dans des classes de quinze élèves, aux bureaux séparés d’un mètre) puis pour ce sera le tour, le 18 mai, des sixièmes et des troisièmes, des premières, des terminales et des ateliers industriels des lycées professionnels, en attendant la reprise totale le 25 mai. Le port du masque sera « conseillé » ou « obligatoire », on ne sait pas. Et la cantine, les transports, les internats ? La santé des profs ? Les programmes à rattraper ? « Une grande autonomie sera laissée aux établissements. » Bref, débrouillez-vous.
Heureusement, quelqu’un a enfin décidé de sortir du rang pour proposer un plan d’action audacieux et téméraire, collant un bonnet d’âne de Jean-Michel Blanquer. Depuis son pupitre des hauteurs de Ménilmontant, la comédienne Mélody Banquet – tout récemment vue dans Nous sommes en guerre, web-série entièrement confinée réalisée par Emmanuel Fricero – trace les grandes lignes d’une « Méthode D’éducation par le Rire » (MDR), à raison de deux heures trente obligatoires par semaine dès la sixième, avec moult exercices pratiques, afin d’apprendre aux ados à affronter « l’angoisse de la mort et les injustices d’un système économique, politique et social reposant sur la domination et la surproduction pour faire face à une crise démographique majeure ». En pleine écriture de son premier seule-en-scène, la voici qui milite pour un « rire au service de l’avenir ».
Pour voir Mélody Banquet interpréter le cochon Babe en gueule de bois face à un Superman penaud dans le court-métrage George Miller, écrit par ses soins et réalisé par Viktor Miletic, c’est ici.
Épisode 34 – Richard Gaitet : « « Le monde d’après » devient « L’Arche de Nova » »
Le coordinateur de ce podcast a un message pour vous. Notez bien le nouveau nom de notre rendez-vous quotidien « d’utopies poétiques pour futurs désirables », déluge de bonnes idées dans un monde déconfiné.
À compter du 11 mai, Le monde d’après, notre podcast « d’utopies poétiques pour futurs désirables » diffusé du lundi au vendredi dans la matinale de Radio Nova, coordonné par Richard Gaitet et réalisé par Benoît Thuault, change de drapeau et devient L’Arche de Nova.
« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ! » Au début des années 70, c’était – déjà – le mot d’ordre d’un tourbillon de propositions poétiques susceptibles d’enrayer les ravages de la civilisation industrielle : L’An 01, cette merveilleuse BD signée Gébé, cette « utopie drolatique assez sérieuse » selon Jacques Doillon, qui aida l’auteur-dessinateur à en faire un film, indispensablement stimulant en cette période de grand flou, propice aux chambardements. En avril 2000, lors de la réédition de son chef-d’œuvre aux éditions L’Association, Gébé notait en postface : « … l’utopie, rébellion non-violente, lance un pont invisible dont l’arche, ancrée dans ce présent affligeant, enjambe le décevant avenir prévisible et touche une rive inconnue, vierge, où la vie pourrait prendre un cours différent, sans marchés financiers ni poisons industriels, ni distractions viles et sans tyrannies inesthétiques. »
Soit ! D’une arche à l’autre… et si c’était toujours le moment de tout réinventer, à l’heure du déconfinement des corps et des idées ? Tel le navire biblique qui survécut au déluge, L’Arche de Nova voguera en mer utopique et embarquera tout un bestiaire d’artistes pour continuer d’imaginer des hypothèses grandioses, des propositions magistrales, des scénarios farfelus, des raisonnements magiques, des logiques insensées, des démonstrations imparables, de noirs vertiges… à contre-courant du pessimisme apocalyptique. Musiciens, écrivaines, cinéastes, dessinatrices, philosophes… Chaque jour, en trois minutes, l’un d’entre eux montera sur le pont pour transmettre sa vision de la société de demain, le temps d’une note vocale très sérieuse ou complètement délirante.
Le concept restera le même : mettre les utopies à l’essai, façon laboratoire des espoirs, pour tenter de repenser, tous ensemble et sans limites, la société, l’amour, le sexe, le travail, l’éducation, la culture, la nourriture, la politique, ou notre rapport à la planète.
Donc, notez bien, fini Le monde d’après. Grimpez dans L’Arche de Nova, joli navire en voyage vers l’avenir.
Pour voir le documentaire de Pierre Carles sur L’An 01, avec beaucoup d’extraits du film, des interviews de Gébé aux beaux yeux mélancoliques et pas mal d’archives montrant des gonzes, syndicalistes, journalistes ou politiciens, partisans de la croissance zéro, qui tentèrent dans les années 70 d’alerter les foules d’un monde courant à la catastrophe… c’est ici.
Le monde d’après, coordonné par Richard Gaitet et Marie Misset, et réalisé par Benoît Thuault.
Visuel © Radio Nova