Le cinéma teenage de John Hughes s’est enfin trouvé un héritier.
Il faudra bien qu’un jour quelqu’un trouve une bonne traduction française pour « Coming of age ». Pour le moment, aucun émule de Bernard Pivot n’a trouvé un parfait équivalent pour restituer cette tradition anglo-saxonne, racontant le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Elle est la toile de fonds de nombreux livres et films américains. Stephen Chbosky a décidé de cumuler en portant à l’écran son propre roman, Le monde de Charlie.
Best-seller de la littérature ado à la toute fin des années 90, ce bouquin a grandi avec ses lecteurs, certains l’ayant déplacé de leur étagère bibliothèque verte vers un rayon plus approprié, pour l’intercaler entre les éditions cornées de Tendre est la nuit de F.Scott Fitzgerald et L’attrape-coeur de Salinger. Le monde de Charlie n’étant pas loin de l’esprit des deux, dans sa dépiction des aspirations et déceptions de jeunes générations ou cette mélancolie qui n’a pas encore atteint le stade du spleen.
Le pitch du Monde de Charlie ? Simple, il ressemble à tous ceux des films pour ados depuis La fureur de vivre : la chronique de jeunes gens mal dans leurs pompes, encore dans la chaleur cocooneuse de l’enfance et déjà dans le désir de sortir de la coquille adolescente. Charlie entame ses premières années lycée, sans vraiment se reconnaître dans ce qu’elles lui proposent. Le parfait modèle d’outsider se rongeant les sangs à l’idée de devoir entrer dans le moule, dans la norme, se priver de ceux qui fait son individualité. La rencontre avec Patrick et Sam, plus aguerris, et surtout revendiquant une identité forte, loin de la masse et de son conformisme, va changer sa vie.
On a déjà vu des centaines de scénarios comme celui-ci, au gré de teenage comedies, de plus en plus standardisées, de plus en plus sécures. Mais il y a quelque chose de plus dans Le monde de Charlie : cette sensation d’être concrètement aux côtés d’une bande d’ados; non dans l’expérience d’un bilan ou d’une nostalgie, mais de l’expérience présente de personnages en pleine fondation, découvrant l’allégresse comme la souffrance des premières bitures, pétards, amours ou amitiés fortes. Quelque chose qui n’a pas traversé l’écran depuis les films de John Hughes, le dernier grand cinéaste en date de l’adolescence.
Il n’est pas impossible que Le monde de Charlie aie le même impact chez les adolescents d’aujourd’hui, celui que Breakfast club ou La folle journée de Ferris Bueller a eu sur ceux des années 80. Cette exceptionnelle sensation de reflet, d’être en phase avec les personnages, de se reconnaître en eux. Comme le dit Charlie dans une séquence « Je sais que ces gens-là existent« . A l’exception d’un twist malvenu, ramenant le film dans quelque chose de plus convenu, Le monde de Charlie ne triche pas avec son sujet, sonne juste dans ce qu’il exprime de l’apprentissage de cette drôle de parenthèse aussi enchantée que désenchantée. On a tous été dans la peau (et le monde) de Charlie, connu l’enthousiasme des soirées entre potes avec qui on avait juré que ce serait à la vie, à la mort. Tous voulu être, comme le chante Bowie dans la B.O des « Heroes, just for one day« ; des héros de sa propre vie, même si ce n’est que pour un jour.
Chbosky, appuyé par son parfait trio de comédiens (d’autant plus quand en avoir vu grandir certains de film en film – Emma Watson, enfin sortie des classes primaires de l’école des sorciers d’Harry Potter ou Logan Lerman décrassé des aventures pour minots de Percy Jackson– apporte la valeur ajoutée d’une familiarité avec eux), reconnecte avec une honnêteté qu’on avait perdu de vue dans les films américains pour teenager. Ici, on est dans l’anti-American Pie: pas de tartes à la crème, ni d’adoubement de valeurs conservatrices. Sincère jusque dans son manque de happy-end, son horizon incertain quant aux lendemains de ses personnages, Le monde de Charlie sonne juste, ne baratine personne sur cet entre deux âges, à la fois galvanisant et douloureux.
Dans quelques mois sortira à grands renforts de flonflons, une nouvelle adaptation de Gatsby le magnifique par Baz Lurhman et Leo Di Caprio. Elle occupera probablement beaucoup plus d’écrans que Le monde de Charlie (qui sort ce mercredi sur moins d’une trentaine d’écrans). Il serait dommage de passer à côté de cette relecture plus contemporaine des thèmes Fitzgeraldiens, de l’accomplissement de soi contre le reste de monde à la poursuite d’un épanouissement personnel, qui font palpiter le coeur de ce très attachant film.
En salles depuis le 2 janvier.