La chronique de Jean Rouzaud
Il faut profiter de la sortie d’un livre, « Laurel et Hardy, la véritable histoire » par Roland Lacourbe, aux éditions Archipel, pour tenter de comprendre le vieux cliché recouvert de poussière des deux clowns…
Déjà, leur carrière n’aurait jamais dû être, puisque Hardy était chanteur, et que de son côté, Laurel souhaitait seulement écrire et mettre en scène et ne surtout pas jouer !
Laurel, le cerveau du duo, venait de la célèbre troupe anglaise de Fred Karno, où il servait de doublure à Charlie Chaplin dans les années 1910-20.
Une troupe d’acteurs acrobates, exécutant sur scène des sketches burlesques.
Le cinéma n’intéressait pas les foules, et seuls de petits courts métrages hystériques, bourrés de cascades, de chutes, coups et dégringolades tenaient le public un quart d’heure.
Chaplin s’y engouffra et, plus rapide que les autres, fit merveille dans les aventures d’un clochard-voyou, acrobate de génie. Mais il lui fallut des années d’essais pour mettre au point son personnage de Charlot avec canne, moustache, pieds en canard, etc !
De son côté, Laurel continua de galérer dans de petites troupes et productions, lui aussi interprétant un zonard agressif et dragueur…
Tout en participant aux scénarios et à la mise en scène, son vrai but.
C’est presque par hasard , et dans la multitude de petits films comiques, que Stan Laurel se trouva réuni avec Oliver Hardy et accepta de jouer encore. Leo Mac Carey* repéra la force de ce couple, et le producteur Hal Roach, changea de cap pour eux, adoptant un nouveau style comique, plus subtil et précis.
Et c’est là, vers 1926, que le duo déclencha un énorme succès : car le ping-pong entre les deux hommes prît une forme inédite et multiplia les possibilités par mille ! Une véritable fusée à deux étages.
Laurel, ingénieur maniaque et obsédé de ce couple impossible
Hardy était le gars du sud, prétentieux et ridicule. Le « bourgeois gentillhomme » parfait, destiné à être ridiculisé. Mais c’est avec Laurel que ça se complique : sorte de cousin anglais, il est forcément « british », impassible, abruti, maladroit, incapable, un monument de distraction indifférente. Très dangereux !
Laurel a inventé le « slow burning », un gag qui n’arrive jamais, ou quand on ne l’attend plus… Le contrepied du « slapstick » ultra-rapide. Le rythme « laureléardi » est lent, étiré, plein de trainailleries et de suspens.
Princes du « double take » où le regard qui ne comprend pas du premier coup, et auquel il faut un temps pour réaliser ce qui se passe,
quand c’est trop tard, et que le seau vous tombe sur la tronche.
Leur définition était : « Il y en a un qui comprend trop tard, Hardy, et l’autre qui ne comprend jamais, Laurel. Le coupable-inconscient ! »
Enfin ils ont aussi inventé le « sound off »; l’un sort du champ de la caméra et un immense bruit nous fait comprendre la catastrophe hors champ, dont on verra les désastres plus tard.
Bruitages et paroles ont été un plus pour Laurel et Hardy (contrairement à Chaplin, Keaton etc..) qui ont rajouté une couche de folie avec leurs accents et réflexions absurdes et maniérées.
Chaque film de ces deux hommes ne mènent qu’à la destruction, souvent totale : voiture, maison, chantier, immeuble, intérieur, vêtements, instruments… Tout casser, inonder, démolir, brûler, comme seul but !
C’est en réalité Laurel, le déclencheur, qui systématiquement met le feu aux poudres, sans jamais s’en rendre compte, avec une indifférence totale (le sang froid anglais ?) et quand Hardy finit par se méfier, il a beau faire passer Laurel devant, c’est toujours sur lui que ça finira par tomber. Il y a quelque chose de maléfique dans cet échange ?
Cette danse, ce mécanisme, ce rituel absolu va devenir viral : Laurel est un martien qui apporte le chaos… Au milieu de rien, il peut déclencher des malheurs, il est un puissant toxique qui peut semer la folie dans des foules entières.
« Même un enfant de 8 ans, nous trouve complètement débiles ! »
Mais ce n’était qu’une part des nuances du duo inimitable, car on peut ajouter
inhumains, inquiétants, absurdes, semeurs de malheur… et tout au bout, quand tout est foutu, alors Laurel se met à chialer en glapissant d’une voix aigüe et insupportable.
Ils sont les personnages les plus étranges du burlesque: Hardy efféminé et désolant, Laurel, fantôme d’une autre planète, qui n’a rien d’humain.
(marié 6 fois, ce qui à force le ruina).
Leur succès fût mondial, leurs tournées triomphales, les imitations innombrables dans tous les pays. Aux États-Unis, des centaines de confréries de fans, et leur présence énorme dans tous les domaines…
Leur âge d’or va de 1927 à 1935, puis ce sera les productions de trop, qui les laissèrent sur la paille. Retour à la case départ.
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« Laurel et Hardy. La véritable histoire » de Roland Lacourbe. Editions Archipel. 288 pages avec un cahier photos de16 pages, et toutes leurs productions, distribution, index des films etc.. Historique complet.
Un nouveau biopic de John S. Baird va sortir sur eux en 2019.
Enfin, tous les grands studios sortent des DVD : MGM, Universal, Warner… et même Lobster, associé à MK2 (Serge Bromberg est à juste titre, fan des deux artistes et de leur esthétique, unique et à part ).
*Leo Mac Carey (1898-1969) auteur et réalisateur pour les Marx Brothers et Laurel et Hardy entre autres.
Visuels : © Bettmann / Getty Images