Grosse réunion de famille techno dans les Hauts-de-France avec Ellen Allien, Laurent Garnier, Jennifer Cardini, Solomun, Modeselektor et bien d’autres.
Quinze années maintenant que le Nord Art Musique Electronique (NAME) festival fait vibrer les Hauts-de-France en invitant la crème de la scène techno. Avec Ellen Allien comme marraine, le festival n’a cessé de croître pour devenir une référence en la matière. Déployé sur Amiens, Saint-Omer, Lille et Roubaix, où se déroule l’événement principal les 11 et 12 octobre, le N.A.M.E. propose des lives, DJ sets et ateliers pédagogiques pour les producteurs en herbe ou les présentateurs radio en devenir. Et avec l’artiste Fanny Bouyagui comme fondatrice, le VJing y tient une place particulière, plongeant le public dans une expérience visuelle et auditive. Nova vous raconte un week-end dans la Condition Publique, cette ancienne usine textile transformée pendant deux jours en lieu de liberté et de transe, à la croisée d’une techno parfois dure, tantôt mélodique mais toujours lancinante.
Gare Saint-Sauveur
Pour commencer tout en douceur, la Gare Saint-Sauveur de Lille accueillait le « N.A.M.E. by Day ». Entièrement gratuit, cet évènement qui sert de before met en avant la nouvelle scène de l’électro mondiale, de la fin d’après-midi jusqu’à minuit. L’ancienne gare de marchandises, qui accueille également des expositions, dispose d’un grand hall pour le dancefloor et d’un immense espace extérieur qui donne un côté open-air à l’événement. L’occasion de danser sur le groove mélodique de la DJ mexicaine Mystery Affair, accompagnée par la polonaise Emiko au vjing. Elles ont eux la tâche difficile d’inaugurer le festival (18h-21h) avec un public profitant du son sur la grande terrasse extérieure, en discutant autour d’un verre ou d’un burger.
Malgré tout, grâce à un DJ set rythmé et profond, elle a suscité l’euphorie chez chacun, les poussant à rejoindre la piste progressivement. Relayée par le serbe Coeus, puis l’argentin Santiago Garcia, elle a fait partie des artistes coups de coeur que le label associé au festival, Family Name Records, a décidé de mettre en avant. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont honoré le flair de cet incubateur d’artistes avec des DJ sets toujours plus énergiques.
Métro, boulot, techno
Une fois la nuit tombée et jusqu’à 6h, l’événement principal et payant démarrait à la Condition Publique, à Roubaix : cette ancienne manufacture en briques rouges, réhabilitée en fabrique culturelle, se divise en deux immenses salles reliées par une rue intérieure couverte. Avec son aspect bétonné et industriel, la Condition Publique est taillée sur-mesure pour accueillir des sets technos explosifs. Vendredi, avec des mastodontes tels que Rodhad, Ben Klock, Solomun, Recondite, Len Faki ou encore Maceo Plex, pour ne citer qu’eux, tous les éléments étaient réunis pour immerger le public dans le Berlin des années 1990. Les basses faisaient trembler les murs et happaient le public dans un mouvement perpétuel. Chaque performance était maîtrisée à la perfection par des DJ qui savaient pertinemment comment emmener les quelques 5700 festivaliers dans leur univers. Sans doute aidés par un système son puissant et équilibré, grâce auquel le groove transcendant de Solomun a captivé l’ensemble de la deuxième salle au milieu de la nuit. Avant que la techno brute et efficace de Len Faki et Maceo Plex ne résonne frénétiquement jusqu’au petit matin. Le moment, pour la plupart des fêtards, de relier Lille en métro avec les oreilles qui bourdonnent encore.
Ici, règne un esprit familial qui est indissociable du festival. Qu’il s’agisse des organisateurs entre eux ou vis-à-vis des artistes, avec qui ils ont créé un lien qui semble dépasser la musique. À l’image de la marraine du festival, Ellen Allien, qui n’a jamais raté une seule édition du festival, quitte à annuler d’autres dates. Et cette énergie insufflée arrive jusqu’aux festivaliers qui dansent, échangent et rient dans une ambiance plutôt chaleureuse et sans a priori. Une qualité essentielle au bon déroulement d’un évènement, et pourtant si rare…
Elect-rollercoaster
Le lendemain, Hap et David Asko ont réveillé la Condition Publique en déployant une énergie telle, qu’on aurait pu croire que la soirée ne s’était pas arrêtée. Les italiens Lehar et Musumeci ont su tirer leur épingle du jeu, grâce à leur techno lancinante et romantique, ainsi qu’au renfort du Vjing d’Heleen Blanken. Les images projetées bougeaient lentement, collant parfaitement avec la musique du duo transalpin. Sur un écran de plus de cinq mètres, un grand monolithe est arrosé par l’eau d’une cascade dont l’intensité change en fonction de la puissance sonore. Tout est minutieusement travaillé et stylisé. À l’image du tour de force réalisé par Modeselektor. Pour la tournée live de leur nouvel album, Who Else, les berlinois ont délivré un show exceptionnel de 1h15 à 2h15 : lumières, écran d’animation et musique se faisaient écho, créant une expérience intense et multi-dimensionnelle. Très à cheval sur la scénographie, le duo berlinois a donné du fil à retordre à l’organisation du festival pour avoir sa propre console lumière, accompagnée de son équipe technique. Une heure pleine d’intensité, de transitions fluides et millimétrées : une sorte de rollercoaster, dont ils sont les machinistes, et qui nous balance dans tous les sens.
Au même moment, un autre machiniste bien connu du monde de la techno démarrait son attraction : Laurent Garnier. Ce digger hors pair a délivré une performance de trois heures, accompagné par une amie de longue date à la VJ, Fanny Bouyagui. Lui, prend ses aises et emporte la foule en distillant des mixtures allant du corsé au doux, en passant par l’amer. Elle, vjing en cheffe du festival, montre un enchaînement d’oeuvres pop et mystiques. Des panneaux remplis d’informations visuelles poignantes et en transition perpétuelle. Dans le même temps, la marraine du festival s’apprêtait à faire vibrer la Condition Publique. De 2h15 à 4h15, Ellen Allien jouait avec le public, alternant techno minimale et brute avec quelques envolées mélodiques pour faire vibrer les corps jusque dans l’espace.
Pour clôturer ce week-end à la programmation exceptionnelle, Jennifer Cardini a fait part de tout son savoir-faire dans la salle 2. Sa manière de mixer, en mélangeant des moments forts de plusieurs morceaux et en créant des aller-retours entre eux, suscitait la curiosité et fuyait la lassitude. Au lieu d’envoyer un morceau toutes les six minutes, elle mixait au moins trois morceaux dans ce laps de temps. Elle a su maintenir la pression avant de la faire retomber très judicieusement, avec « Papua New Guinea » de The Futur Sound of London. La conclusion parfaite avec une batterie qui précède l’uk garage et des samples de voix qui apportent légèreté et douceur. Une sensation qu’on avait presque oubliée… Mais maintenant qu’on la retrouvée, on se languit de ce festival, véritable immersion dans ce qui constitue l’essence de la techno berlinoise.
Visuel © Jacob Khrist