Mot d’ordre : solidarité.
Le moins qu’on puisse dire est que le verdict du procès « de la voiture brûlée » divise l’opinion. Beaucoup ont été choqués par les images de l’agression au fumigène de deux policiers dans leur voiture, et satisfaits du verdict (jusqu’à sept ans de prison ferme pour les neuf prévenus). Certains le trouvent trop faible, comme les syndicats de police, notamment Loïc Le Couplier, responsable parisien du syndicat Alliance qui déclarait à TF1 : « Nous sommes déçus. On ne voit aucun mandat de dépôt pour Antonin Bernanos. Pour Monsieur Fensch, pas de mandat de dépôt non plus. C’est-à-dire que demain, ces gens-là sont libres et peuvent recommencer, retourner en manifestation, remettre leurs cagoules. Comme ils le disaient : “Pas de visage, pas de coupable”.»
En face, une autre partie de l’opinion est choquée par ce qu’elle considère être un verdict extrêmement sévère. On critique une « accusation faiblarde », des enjeux politiques dans le procès, un contexte de surveillance institutionnalisée… L’affaire « du Quai de Valmy » semble cristalliser deux choses : une fracture au sein de l’opinion, mais aussi la solidarité des soutiens aux accusés.
« Tout le monde déteste les petites salles »
Dès le premier jour d’audience, le Tribunal de grande instance de Paris avait attribué au procès une salle minuscule. Trop petite pour tous les soutiens présents. La newsletter lundimatin a envoyé quatre écrivains couvrir les quatre jours du procès. Ce premier jour, c’est Frédéric Lordon qui raconte : « Un stratège dans les étages du palais a trouvé malin d’attribuer au procès un cagibi en guise de salle d’audience. (…) “Ils ne rentreront pas”, voilà ce qu’a probablement pensé le génie des alpages quand il a trouvé dans le planning le placard à balais de ses rêves. »La foule s’échauffe, refuse de rester dehors, on scande des « Tout le monde déteste les petites salles ». « On sent que ce n’est plus dans la salle que “ça va se passer”. Mais dehors. », explique Lordon. Résultat, le premier jour d’audience est annulé. Le lendemain, le tribunal accorde à l’affaire une salle plus grande, et le ton est donné.
Était-ce pour faire rentrer aussi peu de public, de contestation que possible, que la première salle d’audience était si petite ? C’est ainsi que l’interprète Nathalie Quintane, qui suivait le deuxième jour du procès, toujours pour lundimatin. « Une dizaine de membres du syndicat Alliance nous grille en s’engouffrant dans la salle d’audience (…). Inquiétude, puis colère : combien de places restera-t-il si Alliance en prend la moitié ? “– Sortez-les ! Sortez-les !”, hurle la foule. »
« Réduire l’espace de la contestation »
La foule en question craint une réduction de son espace d’expression, car elle voit déjà ce rétrécissement à l’oeuvre dans la rue. Pour Pierre*, militant et habitué des manifs, comme pour beaucoup, ce procès fera date, jurisprudence. Il est symptomatique d’une démarche politique : « l’État cherche à criminaliser le mouvement social. Il n’hésite pas à faire des arrestations arbitraires, avec une campagne de presse contre les “casseurs”. Le but est de déposséder certains actes de leur teneur politique, de réduire l’espace légitime de la contestation. »
Les gendarmes évacuent les soutiens du palais de Justice. #VoitureBrûlée @A2PRL pic.twitter.com/j9jPBPDOhn
— Boris Kharlamoff (@BorisKharlamoff) 11 octobre 2017
Les accusations sont basées sur des vidéos dans lesquelles on ne reconnait pas les participants à l’agression. Le témoignage anonyme d’un policier a permis de condamner certains prévenus. On a accusé Antonin Bernanos à partir de la couleur d’un caleçon. « La logique devient de punir très sévèrement les personnes arrêtées, parfois même sans preuve, pour faire peur à tous les autres », estime Pierre.
Solidarité organisée
Les prévenus sont soutenus par les antifas, avec des méthodes qui leur sont propres, et une condamnation pas toujours évidente de la violente agression qu’ont subie les deux agents de police qui se trouvaient dans la voiture. Mais ils sont l’épicentre d’une solidarité active. Les manifestants confrontés aux violences policières, quels qu’ils soient, le comité Justice pour Adama, avec lequel les parents Antonin et Angel Bernanos (tous deux accusés) ont défilé contre les violences policières, des avocats qui ont apporté leurs services, des universitaires, et même des cinéastes, qui ont pris la parole… « Si on n’organise pas de solidarité, on permet une répression plus forte par la suite. On permet une méthode qui pourra nous être appliquée, et qui a vocation à être étendue et durcie », analyse Pierre. Le puzzle s’assemble comme si cette affaire était en train de consolider les luttes. Dans une société où l’opinion publique ne cesse de se polariser.