L’Unesco vient d’accepter la demande de la Jamaïque.
La Chronique Loin, c’est tous les lundi à 8h45 dans Pour que tu rêves encore, la matinale de Nova. Un regard culturel sur une actu qui vient d’ailleurs, par Clémentine Spiler.
On connaît le patrimoine mondial de l’Unesco, qui recense et protège les trésors physiques de l’humanité. Mais l’UNESCO – cette institution rattachée à l’ONU – préserve également le patrimoine culturel dit « immatériel ». Celui-ci englobe les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, l’artisanat et les arts, dont, évidemment, la musique.
C’est dans ce cadre et à l’occasion de la 13e session du « Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » qui se tient jusqu’au 1er décembre à Port-Louis, sur l’île Maurice (on vous en parlait lundi dans BAM BAM), que l’Unesco a examiné la demande de la Jamaïque, parmi 40 autres candidatures.
En validant cette candidature, l’institution a rendu hommage à la « contribution » du reggae à une prise de conscience internationale « sur les questions d’injustice, de résistance, d’amour et d’humanité » ainsi qu’à sa dimension « cérébrale, socio-politique, sensuelle et spirituelle ». Pour la Jamaïque, au-delà d’une reconnaissance symbolique, c’est la promesse d’une aide à la préservation et au rayonnement du reggae qu’apporte cette nouvelle. L’Unesco oeuvre à sauvegarder le patrimoine vivant et à « sensibiliser les jeunes générations à leur patrimoine culturel », a déclaré Audrey Azoulay, ex-Ministre de la culture française devenue Directrice générale de l’Unesco, lors du discours d’ouverture de cette session, le 25 novembre.
« Bam bam dilla bam bam »
Non pas que la jeunesse ait besoin de l’Unesco pour découvrir ce genre musical, né du ska et du rocksteady, qui traverse les âges et imprègne sans faiblir chaque nouvelle génération d’auditeurs et d’artistes. Le reggae, en Jamaïque, les enfants en apprennent les bases très tôt, dès la maternelle.
À l’international, le genre musical influence continuellement les productions actuelles. En témoignent, notamment, les nombreux samples de reggae dans le hip-hop. C’est « Bam Bam », le tube de Sister Nancy (1982), dont on retraçait l’histoire dans Néo Géo ce dimanche, qui détient le record du morceau de reggae le plus samplé de l’histoire.
Guerilla Black, Jay-Z, Kanye West, Chris Brown, Lauryn Hill… De très nombreux artistes ont utilisé ce son, sans forcément, d’ailleurs, créditer l’artiste. En effet, malgré toutes les reprises de son tube, Sister Nancy n’a commencé à toucher de royalties qu’en 2014, après un procès intenté à Reebok, qui avait utilisé son morceau dans une pub.
Protection du patrimoine musical
Rien de nouveau dans le monde de la musique, des morceaux de reggae et des musiques traditionnelles ont été reprises et utilisées maintes fois sans être crédités. C’est d’ailleurs ainsi que commence la réflexion sur la nécessité d’un patrimoine immatériel. En 1973, le ministre des affaires étrangères bolivien écrit directement à l’Unesco pour lui demander de protéger son patrimoine musical. Il s’élevait notamment contre la reprise par Simon & Garfunkel, sur l’album Bridge Over Troubled Water, sorti trois ans plus tôt, du morceau traditionnel « El Condor Pasa ».
« La Charte de Venise de 1964, le premier accord signé par l’organisation, concernant la préservation des constructions et des sites historiques, était un document européen, créé suite aux destructions de la Seconde guerre mondiale », analysait en 2016 la Los Angeles Review of Books. « Les experts qui, huit ans plus tard [en 1972, ndlr], ont rédigé la Convention de protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, n’ont pas vraiment réfléchi aux différentes manières d’envisager l’héritage culturel, au-delà des frontières européennes. » La question de la protection des cultures natives dans les pays colonisés sera à la base de la réflexion de l’Unesco, jusqu’à la création de la notion de « patrimoine immatériel », en 2003.
Au final, la liste à laquelle vient de s’ajouter le reggae recense plus de 400 traditions culturelles, et l’Europe n’est pas en reste. On y trouve notamment les terrasses parisiennes et la pizza napolitaine, qui côtoient le théâtre d’ombres syrien, la dentellerie aux fuseaux slovène, et la calligraphie mongole.
La Jamaïque figurait déjà sur la liste du patrimoine culturel immatériel, avec l’héritage des Marrons de Moore Town, ces communautés de rescapés de la colonisation et de l’esclavage, qui se sont cachés, puis installés, dans les montagnes du pays caribéen. Le reggae vient lui aussi célébrer l’esprit de liberté Jamaïcain, l’amour et la cohésion sociale. « Let’s get together and feel alright », a déclaré la ministre de la Culture jamaïcaine, Olivia Grange, à l’annonce du résultat ce matin, faisant lever et danser ce sommet de l’Unesco sur un air de Bob Marley.
Jamaica has satisfied the criteria for #ReggaeMusicofJamaica inscription on the Representative List of the Intangible Cultural Heritage of Humanity. Support was unprecedented. 20 of the 23 countries on the committee spoke on our behalf. We are the 24th member of the ICH Cmte. pic.twitter.com/4UFnXWAmYQ
— Hon.Olivia Grange (@Babsy_grange) November 29, 2018
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