Discussion avec Cheick Kongo, porte drapeau hexagonal d’un sport pourtant interdit en France : le MMA (Mixed Martial Arts)
Je rejoins Cheick Kongo au restaurant où il déjeune. Il mange une salade avocat-saumon. A un mois de son grand rendez-vous avec Roy Nelson, je lui demande s’il observe un régime alimentaire. Cheick Kongo se marre. Tu m’étonnes ! Il va s’enfiler une belle entrecôte et une crêpe en dessert, en ayant le temps entre les deux de finir le tiramisu au Nutella de Roberta, la Responsable de Communication de l’Ultimate Fighting Club, plus communément nommé par ses initiales, l’UFC. L’UFC, c’est la compétition la plus prestigieuse du circuit des pratiquants de Mixed Martial Arts.
L’UFC est un peu au MMA ce que la Ligue des Champions est au football : la crème.
La crème donc, Cheick Kongo la mange sans vergogne. Non il ne suit pas de régime ; il se nourrit de choses saines, mais ne s’interdit rien. Au pire, on verra plus tard, juste avant la pesée, s’il faut faire un effort pour perdre quelques kilos, mais ça devrait aller. Kongo est serein, décontracté, souriant. Mais reste concentré sur son objectif : la victoire le 27 avril prochain, dans la Ville de Newark (non loin de New York), lors de l’UFC 159, contre Roy Nelson, 36 ans, coupe brosse-mulet et physique atypique de « petit gros ».
Ne vous y fiez pas une seconde, le type encaisse comme pas deux.
Kongo attend le combat avec impatience, lui qui a été tenu ces derniers mois un peu à l’écart du circuit à cause d’une blessure et donc d’une période d’absence au cours de laquelle les petits jeunes ont, eux, continué à progresser. Après avoir refusé quelques combats proposés un peu à la dernière minute, ce sera donc le grand retour de Cheick Kongo. Un retour qu’il prépare comme d’habitude. A l’écart du monde (en Angleterre, à Warrington), en donnant tout ce qu’il a. Il lui reste 30 jours pour monter en intensité jusqu’à la date fatidique. 30 jours pour être à 100%. Il ne se fait pas de souci.
Moi je n’ai rien de spécial à revendiquer. Je fais mon métier.
Avant un combat, il n’essaie pas d’imaginer le scénario de la rencontre. Pas de plan d’attaque. La seule chose qui l’obsède, c’est la victoire. Il garde toujours, y compris sur le ring, un certain calme, le recul nécessaire pour être critique quant à son combat. « Sauter comme une puce, s’exciter, ça ne sert à rien ».
Sur son Facebook, Kongo échange beaucoup avec ses fans. Très disponible, il répond à leurs questions, like leurs commentaires, partage leurs dessins ou autres attentions. Je le lui fais remarquer, il s’en étonne : « Pourquoi serais-je autrement ? ». Bah j’en sais rien, peut être parce qu’on n’est pas habitué à se sentir proches de nos idoles. Mais pour lui, c’est naturel : il est ainsi dans la vie de tous les jours. Ni fayot, ni prétentieux : il est lui-même. Plus encore : « Moi je n’ai rien de spécial à revendiquer. Ni une quelconque exemplarité, ni la banlieue d’où je viens ».
Cheick est un athlète qui fait son métier, et qui le fait bien. Point.
S’il n’avait pas été un combattant, peut-être aurait-il continué la carrière militaire qu’il avait commencé à embrasser. Peut-être aurait-il été sur une chaise roulante, peut-être aurait-il été un industriel… Qui sait ? Toujours est-il que le sport a été présent dans sa vie dès son plus jeune âge. Plus un loisir qu’autre chose à la base, pas d’objectifs précis à atteindre… Après, par la force des choses et les bons résultats, la vie devient ce qu’elle est.
Je lui demande s’il a déjà connu la peur : « On a toujours peur ! Ca ne peut qu’aider, tant que tu arrives à te contrôler. Regarde les militaires, ils ont peur parce qu’ils veulent rentrer à la maison ! Après, je sais qu’il faut un vainqueur et un perdant, mais il est hors de question que je parte perdant ! ». Il ne combat pas pour briller ou être reconnu dans la rue. « Ce sport, ça m’apporte énormément. Et puis aujourd’hui, je suis indépendant, j’en vis. Je n’ai pas à subir les contraintes matérielles de la vie ». Kongo est très terre à terre. Lucide. Ce qu’on peut lui souhaiter de mieux pour ce combat du 27 avril ? « Avant toute chose, faire une belle rencontre. Tout donner, tout simplement ».
Il y a des leaders et beaucoup de moutons. Et il y a des leaders qui ne servent à rien.
Nous discutons un peu du statut du MMA, interdit en France pour des raisons que beaucoup estiment injustifiées. Oui, c’est un sport de combat, donc violent. Oui, il y a des règles. Non, les pratiquants ne sont pas des bêtes sanguinaires. Non, ils ne s’entraînent ni dans des caves, ni dans des sous-bois. Que l’on aime ou non, il y a des règles claires et définies, et ça, c’est irréfutable. Côté santé, il a été prouvé que ce sport entraine moins de séquelles au cerveau que la boxe, le rugby ou le football américain. Tout simplement parce que peu de coups sont directement portés à la tête.
Après, il faut bien reconnaître que le sport est spectaculaire, notamment par le fait que l’on puisse porter des coups à un adversaire à terre. Le lieu du combat lui-même est également impressionnant : merci de ne pas dire « cage » mais « octogone ». Pourquoi cette forme ? Tout simplement pour répondre au mieux aux critères des différents sports, quelque part entre le ring des boxeurs et le cercle des lutteurs.
Le problème, c’est que beaucoup d’hypocrisie et d’injustice règnent autour de cette interdiction. Outre l’interdiction, les pratiquants – tous les meilleurs de leur art martial respectif, soit dit en passant, des athlètes complets à l’hygiène de vie et au comportements irréprochables, sont considérés comme des sauvages ne respectant pas les valeurs du sport. Faux, dix fois faux. « C’est à l’image de la société. Il y a quelques leaders et beaucoup de moutons, selon Cheick. Et il y a des leaders qui ne servent à rien, et qui prêchent la mauvaise parole. Et il y a ceux qui font l’autruche et se voilent la face ».
Dans ma tête, à ce moment-là, c’est le noir total.
Un peu comme si cela arrangeait tout le monde – et notamment la Fédération Française de Judo, l’art martial qui compte le plus de licenciés en France, un lobby ultra-puissant qui ne veut pas voir ses stars filer dans les salles de MMA. Car le MMA rapporte énormément. Le sport a connu une ascension fulgurante et est aujourd’hui le programme télévisé qui rapporte le plus en Amérique, où les chaînes sont payantes, à la carte. Et en général, quand il y a argent, les vautours ne volent jamais loin. Mais là, c’est l’union sacrée pour interdire le MMA. Chelou. Presque inexplicable. Fidèle à lui-même, Kongo reste sobre, serein. « Ca avance, quand même. Lentement, mais sûrement. je ne vais pas m’avancer à donner des dates, mais bon, l’idée fait son chemin ».
Je change de sujet et lui reparle de son légendaire combat contre Pat Barry, décrit par beaucoup comme le plus incroyable retournement de situation de tous les temps. Imaginez la scène : Barry met une droite à Kongo et poursuit avec une rafale de crochets qui le mettent KO debout… mais le combat continue et Barry enchaîne une seconde droite, sensée être fatale pour le Cheick qui s’écroule par terre, mis KO une seconde fois en l’espace de 10 secondes… Kongo vacille puis, semblant réussir dans un dernier incroyable effort à réunir ce qu’il lui reste de force et de lucidité, envoie un uppercut du droit dans les chicots d’un Barry qui croyait la victoire acquise.
Kongo remporte ce match à l’issue du plus incroyable revirement de situation vécu dans un octogone. Je lui demande de raconter : « Dans ma tête il ne se passe rien, c’est le noir total… J’essaie de me parler à moi-même et je me tiens un monologue qui me semble durer une bonne heure ! En fait il n’en est rien, cela dure l’espace d’un dixième de seconde… J’arrive à me reconnecter… En même temps je suis out, et en même temps j’arrive à savoir ce qu’il se passe, j’ai l’impression que ça dure une heure… J’ouvre les yeux, je vois une forme, je la distingue mal mais je sais que c’est mon adversaire. Il me croit complètement out mais moi je cherche mes appuis pour me relever, je me dis qu’il ne faut pas que je perde, que je me remette dans l’action. Je profite du fait qu’il se sente en confiance, il faut que je l’amène à moi, et je sais qu’il faut que je le prenne de vitesse… et ensuite j’envoie ce qu’il faut pour le mettre à terre ». Bien joué.
>> aller à 1’35 pour arriver à la fameuse « scène ».
Avant de le laisser filer, on lui demande de nous parler musique ! En ce moment il s’entraîne ? Alors quelle est la bande son de ses entraînements ? « Plutôt des choses électroniques comme Baauer, le mec qui a fait le Harlem Shake. Bizarrement, je me suis aussi vu revenir à des classiques français comme Axel Bauer, « Cargo de Nuit » et quelques autres classiques français. Et puis du R&B américain aussi… ». Et la musique qu’il va mettre pour son entrée en scène ? « Oui ! Je vais mettre Rokstarr, Groove The Night ! c’est une musique que j’écoute souvent quand je suis en moto et… c’est vrai que c’est un peu old school mais j’aime bien, ça représente pas mal le personnage! ».
Une rock star, voilà ce qu’il est Cheick Kongo… mais hors des frontières de son propre pays.
Une rock star qui doit prouver son rang à chaque nouveau concert.
Il nous a donné rendez-vous sur scène le 27 avril prochain, à Newark. Bah on y sera.