Ces trois Blu-ray n’ayant qu’un seul défaut : donner sacrément envie de voir d’autres opus de ce cinéaste particulièrement singulier.
Allez savoir si c’est parce qu’il s’est fait aux antipodes, et a donc longtemps eu du mal à franchir les Océans qui nous en séparent, mais le cinéma japonais reste un terrain à débroussailler, un territoire à explorer, tant certains de ses cinéastes restent inconnus ici. Il y a deux ans, la découverte de l’œuvre de Kinuyo Tanaka réalisatrice faisait décrocher la mâchoire ; elle a tout pour rester déboitée par celle aujourd’hui de Yuzo Kawashima. À domicile, le corpus de celui qui fit la collure entre le cinéma classique des années 50 et la nouvelle vague locale la décennie suivante est adoubé de longue date. Ici, même au compte-gouttes, avec l’apparition en Blu-ray de trois films sur les quarante-sept qu’il a réalisé, cela reste une révélation sidérante. Ne serait-ce qu’en découvrant un réalisateur d’une phénoménale fluidité, franc-tireur capable de naviguer entre les divers grands studios japonais comme entre les registres, signant autant des mélos âpres que des comédies égrillardes.
Un réalisateur prolifique, mais qui ne s’éparpillait donc pas.
Même si Le temple des oies sauvages, Les femmes naissent deux fois et La bête élégante ne sont qu’un maigre échantillon du cinéma de Kawashima ; aussi éloignés soient-ils (un mélo, un film noir en costume et une comédie noire), ils esquissent la vision d’un réalisateur scrutant un Japon en plein entre deux, pas pleinement sorti de l’humiliation de la seconde guerre mondiale, mais déjà dans une volonté de reconstruction capitaliste. Tout est de toute façon question de regard chez Kawashima, posant régulièrement sa caméra dans des coins improbables, observant les personnages se débattre depuis des placards, des toilettes, voire une fosse septique ou à travers des cloisons ou des rideaux. Comme pour avertir qu’il y aura quelque chose de biscornu chez cette faune à visage humain. Ainsi la vie de famille de La bête élégante vire à la chronique d’un clan d’escrocs ayant perdu tout sens moral tandis que la vie d’un moine bouddhiste dans Le temps des oies sauvages mue en drame de la jalousie et dans les femmes naissent deux fois, le quotidien d’une geisha en récit d’une marchandisation généralisée des rapports et des valeurs. La stupéfiante mise en scène de Kawashima confortant la dissection d’une identité japonaise fracturée. Plus sidérante encore, cette absence de démonstration, d’appui, d’une dénonciation, le propos de ces films est encore plus marquant quand il n’est pas martelé par un style baroque ou du cynisme. Le naturalisme proche du néoréalisme italien avec lequel Kawashima filme des situations extrêmes les rend encore plus troublantes. Ces trois Blu-ray n’ayant qu’un seul défaut : donner sacrément envie de voir d’autres opus de ce cinéaste particulièrement singulier.
Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois. Badlands éditions.
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