Avec un seul morceau, « Viene de Mi », la chanteuse argentine a suscité une énorme attente jusqu’en Europe. Ca tombe bien, elle sera vendredi à notre Nuit Zébrée, au Bataclan. Rencontre
La déesse du chamamé électronique
Le single « Viene de mi » l’a propulsée en quelques semaines sur le devant de la scène argentine. Avec son chamamé électronique, Mariana alias « La Yegros » (son nom de famille) est aussi en train de se faire une place au soleil sur les ondes internationales. Autrefois dans l’ombre de King Coya et d’autres artistes argentins, la jeune femme à la coupe afro illumine de sa voix et de sa présence les soirées porteñas (de Buenos Aires) et devrait débarquer cette année sur le vieux continent pour une série concerts endiablés.
Mariana Yegros sort justement d’une réunion avec Grant Dull, le grand manitou de la scène électro-tropicale de Buenos Aires. Avant de nous retrouver dans un bar du quartier de Villa Crespo, elle a évoqué avec le patron de ZZK Records cette année qui s’ouvre, avec la sortie en Europe de son album en février-mars. Une première qui sera sans doute suivie d’une petite tournée l’été prochain, laissant espérer un passage en France…
INTERVIEW
As-tu toujours été baignée dans la musique ?
Ma mère était institutrice, mon père était électricien, rien à voir avec la musique… Mais mon papa a toujours écouté beaucoup de chamamé et ma maman plutôt de la cumbia. Je me suis imprégnée très jeune de ces musiques. Ils viennent de la province de Misiones (Ndlr : nord-est de l’Argentine), mais ils sont venus s’installer à Buenos Aires après leur mariage. C’est une région forestière, que l’on appelle le « Litoral » (coincée entre le Rio Parana et le Rio Uruguay), avec beaucoup de végétation.
J’aime bien ces femmes au caractère fort, comme Madonna
Le chamamé est une musique jouée dans les villages. Une fois par an, au mois de septembre, la ville de Corrientes organise la Fiesta del Inmigrante (Ndlr : Fête de l’Immigrant). Les fêtes de chamamé ressemblent un peu aux peñas espagnoles avec un guitariste, un accordéoniste, un chanteur. Les gens participent aussi en dansant. Certains se vêtissent de costumes traditionnels, surtout dans les petits villages. On y trouve souvent un espace public réservé à ce type de fêtes, où se réunissent les riverains. Là-bas, on écoute du chamamé à longueur de journée.
Comment s’est formé le chamamé ?
C’est un mélange de différentes musiques. A Misiones, il y a beaucoup de descendants de polonais. Du coup, on retrouve un peu le rythme de la polka dans le chamamé. Il y a aussi des influences brésilienne et paraguayenne, puisque la province de Misiones est bordée par ces deux pays.
Tu as toujours voulu chanter ?
Quand j’étais petite, ma mère avait une grande brosse à cheveux, qui me faisait penser à un micro. Je lui piquais de temps en temps et je m’enfermais dans ma chambre pour chanter. Dans notre salle de bains, nous avions un placard avec deux portes qui s’ouvrait vers l’intérieur, chacune avec un grand miroir. Je me mettais au centre et ça donnait l’impression que j’étais filmé par trois caméras. Je jouais déjà à me mettre en scène de cette manière (rires).
J’étais impressionnée par les chanteuses, notamment par Fabiana Cantilo, une rockeuse. J’aimais bien l’attitude de ces femmes au caractère fort, comme Madonna. Quand j’avais onze ans, je l’observais et je me disais : « Ouah, quelle pouvoir elle a ! ». Cette énergie scénique m’attirait. J’étais subjuguée de voir ces femmes s’affirmer dans un environnement dans lequel on trouve une majorité d’hommes. Une femme dans la musique doit se démarquer. Quand je me suis lancée dans mes études de chant, je me suis également mise à la danse, à travailler des chorégraphies, car le corps s’exprime aussi sur scène, c’est donc essentiel de bien maîtriser cet aspect.
Comment vis-tu justement le fait d’être la seule femme du label ZZK ?
C’est une bonne chose. Je trace mon propre chemin. J’apporte une touche féminine au label, une autre couleur. Cela rafraîchit un peu l’image du label, lui donne une autre énergie.
Quelles sont les artistes qui t’ont influencée ?
La colombienne Petrona Martinez et Bjork, qui est pour moi le « must ». Chaque fois que j’en ai eu l’occasion, je suis allée la voir en concert. Elle possède une attitude particulière sur scène et accorde une place essentielle à l’aspect visuel. C’est incroyable cette façon qu’elle a de jouer avec ses tenues. Elle a toujours un temps d’avance. C’est un bon exemple. Il suffit de la voir chanter seule, avec une longue robe noire : elle est fascinante. Elle est aussi capable de la jouer plus sophistiqué.
C’est pour ça que nous avons imaginé toute une scénographie avec notre groupe, avec des costumes de couleurs différentes pour chaque musicien, avec des plumes et des reflets fluorescents, des danseuses, afin de donner une dynamique différente à nos concerts. En ce moment j’écoute pas mal Rita Indiana, une chanteuse dominicaine, qui fait aussi son mélange entre musiques traditionnelles de son pays et sons plus contemporains. J’aime bien Bomba Estereo aussi.
Ta musique ne se limite pas seulement au chamamé, on perçoit aussi une touche de hip hop et d’autres styles…
En réalité, j’ai une multitude d’influences. Lorsque j’étudiais le chant, je me suis notamment intéressée aux chants africains et indiens, dont les racines primitives se lient facilement aux rythmes latino-américains. On mêle des éléments de ces différentes cultures pour élaborer notre son. Ma voix a un côté un peu sauvage, mais elle peut devenir plus douce. Les machines apportent une touche plus sophistiquée, tandis que la voix joue sur la pureté, surgit de l’âme.
J’aime bien utiliser le mot « métissage ». Le mélange entre deux couleurs produit une troisième couleur. Le croisement entre la technologie et l’organique ouvre de nouvelles possibilités.
Tu composes seules ou avec les membres de ton groupe ?
La moitié du disque a été composée par Daniel Martin, qui vit à Mendoza. L’autre moitié a été composée par Gaby (Ndlr : Gaby Kerpel, alias King Coya) et j’ai écrit les paroles. On travaille un peu chacun de notre côté. Gaby ou Daniel compose une base, je la récupère, puis je travaille dessus, j’imagine une mélodie, des paroles et ensuite je leur repasse. Chaque morceau évolue comme ça.
Björk, pour moi, c’est le must
Cela fait déjà plusieurs années que tu es dans l’ombre d’autres artistes. Comment t’es tu décidée à apparaître à la lumière ?
C’est le résultat d’un long processus. Cela fait dix-huit ans que je suis immergée dans l’univers de la musique. J’ai eu un groupe, qui n’a pas vraiment percé, ensuite je suis parti vivre aux Etats-Unis, puis à Barcelone. Quand je suis revenue, j’ai commencé à expérimenter de nouvelles choses, à me réinventer un personnage, plus solitaire. A partir de là, King Coya m’a invité à chanter à ses côtés.
C’est ainsi que j’ai commencé à apparaître plus en lumière, autour de 2008, très naturellement. On a été ensemble au Danemark pour le Roskilde Fest et on a eu un très bon accueil. L’idée de faire un disque est née à ce moment-là. On sentait que les gens accrochaient, que le personnage plaisait. On a commencé à composer, puis le groupe s’est formé petit à petit et on n’a pas arrêté de jouer à droite à gauche…
On m’a dit que « Viene de Mi » était passé plusieurs fois sur Radio Nova
Les gens dansent spontanément à tes concerts, cela donne des shows très vivants…
J’ai toujours rêvé de faire une musique qui donne envie aux gens de danser. Mais je ne me suis pas dit non plus : « Allez, je vais faire une chanson pour que les gens dansent ». Je suis fanatique de Café Tacuba. L’énergie qu’ils transmettent m’impressionne. Elle pousse les gens à danser. Dès qu’on joue les premières notes de « Viene de Mi », il se passe un peu la même chose, les gens se mettent à bouger, je trouve ça super.
Le titre « Viene de Mi », qui tourne pas mal en France, a suscité une certaine attente autour de la sortie de l’album…
Quelqu’un l’a mis sur Youtube et en quelques jours, le morceau a atteint les dix, vingt mille écoutes. J’ai trouvé ça bizarre au début. Au bout d’un mois, la vidéo affichait plus de cent mille écoutes. On m’a dit qu’il était passé plusieurs fois sur Radio Nova. J’ai commencé à écouter la radio sur mon ordinateur et je suis tombé sur le morceau, plusieurs fois dans la même journée. J’ai reçu de nombreux messages de gens qui me demandent s’il y a d’autres morceaux, quand sort le disque, si on va faire une tournée en Europe.
Que leur réponds-tu ?
L’album sort en février-mars en Europe. Pour l’instant nous n’avons qu’une date de prévue, à Istanbul, en mai. On est en train d’essayer de caler d’autres dates à cette période. En octobre, on devrait faire une tournée aux Etats-Unis.
(interview réalisée en janvier 2013)