La légalisation du cannabis récréatif entre en vigueur demain au Canada.
Le Canada a voté en juin dernier la légalisation de la consommation de cannabis récréatif. C’est le deuxième État seulement à avoir franchi le pas, après l’Uruguay en 2013. La nouvelle loi canadienne entre en vigueur demain, mercredi 17 octobre.
Un succès pour le Bloc Pot, parti pro-légalisation québécois fondé en 1995, et qui tire son nom du mot « pot » (qui désigne l’herbe en argot américain). Mais loin de se retrouver au chômage technique, le Bloc Pot a trouvé avec celle loi un nouveau combat à mener… De passage à Montréal, Banana Kush, le podcast consacré au cannabis, a rencontré Hugo St-Ônge, 44 ans, deux enfants, historien, comptable, et surtout porte-parole du parti, qui nous a expliqué pourquoi cette légalisation n’est pour lui qu’une grande mascarade.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Bloc Pot n’est pas favorable à la loi canadienne de légalisation du cannabis, qui entrera en vigueur le 17 octobre. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Hugo St-Ônge : Parce que, tenez-vous bien, cette loi maintient le cannabis dans le code criminel, tout en ajoutant de nouvelles infractions liées au cannabis. On est très loin de l’idée que nous nous faisons de la légalisation ! Si un citoyen détient du cannabis qui ne provient pas du réseau légal, alors il sera poursuivi de façon criminelle, comme auparavant. Ça devrait sonner des cloches ! Par exemple, avec cette nouvelle loi, il sera toujours illégal d’avoir des plants de cannabis à la maison. Dans sa communication, le gouvernement fédéral dit que les Canadiens auront le droit d’avoir quatre plants. Ce qui est faux quand on prend le temps de lire les textes ! Il sera toujours illégal de produire du cannabis sans autorisation, par contre seules les personnes possédant cinq plants et plus seront criminalisées ! C’est ce que nous appelons au Québec une « déjudiciarisation », c’est-à-dire que l’on sort les gens qui ont quatre plants et moins du processus judiciaire. Ça ne veut pas dire que c’est permis. Les consommateurs de cannabis sont toujours autant stigmatisés.
Il sera toujours illégal d’avoir des plants de cannabis à la maison
Ça, c’est au niveau fédéral, c’est-à-dire pour l’ensemble du Canada. Qu’en est-il des lois sur le cannabis adoptées localement ?
Hugo St-Ônge : Au niveau des provinces (Québec, Ontario, Colombie-Britannique, ndlr), des lois sont votées pour permettre l’application de la loi fédérale et préciser ses dispositions. Le Québec, par exemple, a voté une loi qui crée – surprise ! – de nouvelles infractions pénales, qui n’existaient pas jusqu’ici ! Et je ne vous parle pas du niveau municipal : les villes vont pouvoir interdire certains comportements, par exemple la consommation dans un parc ou dans la rue. Ils pourraient même exiger des permis pour avoir le droit de fumer sur votre balcon… L’imagination ne manque pas à ces gens pour trouver des façons de nous taxer indirectement.
Vous êtes en train de dire que le gouvernement canadien ment à ses citoyens ?
Hugo St-Ônge : Exactement. C’est un renouvellement de la prohibition. En fait, la prohibition prend une nouvelle forme en rendant la pénalisation plus efficiente dans son application. Et la logique derrière tout ça, c’est de protéger les investissements des amis du régime. Il y a une centaine d’entreprises au Canada qui ont été autorisées à produire du cannabis médical. 80% d’entre elles appartiennent à deux conglomérats. Cet oligopole sera protégé par le Code criminel et par les forces policières. Or je connais très peu de marchés économiques au Canada qui sont protégés de la sorte par le Code criminel – à part l’armement ou le plutonium… des secteurs qui n’ont rien à voir avec les plantes vertes ! On est obnubilés par la propagande qui ne parle que des risques et on oublie que c’est une plante verte !
En France, on boit dans la rue et on rentre chez soi pour fumer. Ici, c’est l’inverse
Et justement, vous qui vivez à Montréal, quel est le regard que les Montréalais portent sur cette plante verte ?
Hugo St-Ônge : Ici c’est assez ouvert, c’est une ville très cosmopolite, jeune…Quand mes amis français débarquent, ils me disent : « Mais c’est incroyable, on n’a pas le droit de boire dans la rue, mais vous fumez des joints partout ! » Alors qu’en France c’est l’inverse, on boit dans la rue et on rentre chez soi pour fumer. La culture est inversée.
C’est vrai que ça sent le « pot » à tous les coins de rue…
Hugo St-Ônge : Peut-être pas à tous les coins de rue mais dans les quartiers centraux, oui ! La police applique une certaine forme de tolérance dans les rues, et ça fait quarante ans que ça dure. Jusqu’au début des années 80, les gens fumaient des joints dans les bars et tout le monde s’en fichait. Mais en 1984, le Canada a adopté la logique de Reagan : guerre à la drogue et tolérance zéro – ou plutôt intolérance totale, mais ça aurait été moins vendeur comme campagne. On a menacé les tenanciers de bar de leur retirer leur permis s’ils laissaient les gens fumer des joints chez eux. Et finalement, les tenanciers ont été très contents de cette nouvelle politique : ils se sont rendus compte qu’en mettant les poteux (les fumeurs de pot) dehors, ils vendaient plus d’alcool !
Cette interview est extraite du premier épisode de Banana Kush, le podcast de Camille Diao et Christophe Payet consacré aux cultures du cannabis.
Visuels : (c) Bloc Pot et compte Twitter de Hugo St-Ônge