La chronique de Jean Rouzaud.
« Le beau est toujours bizarre » (Charles Baudelaire).
Avec la double exposition au Petit Palais de Paris sur Jean-Jacques Lequeu (1757- 1826) et Fernand Khnopff (1858-1921), c’est un rendez-vous avec l’étrange, le symbole, le mystère qui nous est donné.
En ces temps de clichés, de rabâchage, de répétitions, de bégaiement, il est bon de se rincer l’esprit et l’œil, très loin du marketing, du shopping, et du mauvais goût commercial, raboté pour le plus grand nombre.
Jean-Jacques Lequeu : architecture et érotisme
Ainsi Lequeu, cet artiste fils de menuisier, architecte de papier, marqué par la Révolution française, mort dans la solitude et le dénuement, nous propose un monde « autre », nouveau, ou architecture et érotisme se mêlent dans une vision fascinante.
Il a dessiné toutes sortes de pavillons, porches, gradins, arcs de triomphe, ou « folie » pour aristocrates, mais avec la Révolution, ce type de commande n’avait plus cours : rien n’a été construit ! Lequeu n’en est que plus admirable et privé.
Mais son travail inconnu reste frappant. Les Surréalistes eux-mêmes n’ont jamais découvert son imaginaire de précurseur qui leur aurait servi (ces dessins de grimaces et ses seins en dômes parfaits…)
Marcel Duchamp, autour duquel on fit courir le bruit de manipulations sur son legs à la Bibliothèque nationale pour s’en inspirer (!) est un bluff de provocateur, mais ayant saisi la portée presque dadaïste de Lequeu ! Quant aux architectes, ils ne devraient pas se contenter de Ledoux (Claude Nicolas, 1736-1806) autre grand visionnaire architectural.
Khnopff, symboliste onirique
L’autre artiste présenté actuellement, le Belge Khnopff, est beaucoup plus connu et répertorié comme un symboliste, onirique, un préraphaélite bon teint, léché et décalé, très fin de siècle (le Préraphaélisme fut une école de peinture anglaise du XIXe siècle, justement basée sur les peintres d’avant Raphaël à la Renaissance italienne).
On peut rêver de ces époques au cours desquelles des artistes d’avant-garde se retournaient vers un passé classique pour le détourner, le décaler, afin de créer de nouvelles mythologies !
Une leçon pour la frilosité artistique contemporaine.
Jean-Jacques Lequeu, bâtisseur de Fantasmes, Fernand Khnopff, le maitre de l’énigme au Petit Palais. Jusqu’au 31 mars. À voir aussi, l’album relié sur Lequeu de 200 pages et 180 illustrations, paru aux Éditions Norma avec la BNF. 39 euros.
Visuel en Une (c) Khnopff, Des Caresses, J. Geleyns Art Photography