La chronique de Jean Rouzaud.
Pierre Louÿs, (1870-1925) fut un poète, romancier français, né à Gand (Belgique), fils de famille, proche de Napoléon III. Il sera ami d’André Gide, et des symbolistes, épousera la fille de José-Maria de Heredia.
En 1891 il crée La Conque, revue littéraire : Mallarmé, Leconte de Lisle, Verlaine, Valéry, Gide et Louÿs y publient textes et poèmes dans le style symboliste et parnassien (fans de mythologie grecque…)
Poèmes antiques et romans érotiques
À partir de 1891, il commence à publier des poèmes : Astarté, Chrysis ou la cérémonie matinale, Les Chansons de Bilitis, inspirés de l’Antique. Claude Debussy en fera des musiques. Puis il se lance dans des romans érotiques, pleins de sensualité décadente.
En 1898, ce sera La femme et le Pantin, considéré comme son chef-d’œuvre, repris au cinéma par Josef Von Sternberg avec Marlène Dietrich, puis par Julien Duvivier avec Brigitte Bardot, enfin par Luis Buñuel avec Carole Bouquet et Fernando Rey.
Mais c’est avec Trois filles de leur mère que Pierre Louÿs va atteindre un sommet de pessimisme, de cruauté, d’érotisme fou, flirtant avec la pornographie, le sadisme, la décadence et les excès sexuels.
Comment décrire un livre pareil où, client de prostituées de haut vol (une italienne et ses trois filles, contorsionnistes, danseuses, et actrices courtisanes… on ne sait plus) l’auteur se livre à des débauches assez inimaginables, préfaçant ce texte, publié en secret après sa mort, comme le récit absolument authentique de cette aventure unique.
Dans les années 70, l’éditeur Jean-Jacques Pauvert en publiera une version officielle dans son catalogue, sortant de l’ombre un récit dément, sulfureux, au niveau d’un marquis de Sade, d’un Guillaume Apollinaire (et ses Onze Mille Verges) ou d’un Georges Bataille.
Il est difficile d’imaginer aujourd’hui, cette grande bourgeoisie française, livrée à une mode décadente, rêvant d’orgies exotiques, avec opium, haschich ou alcool, et les clients d’innombrables maisons closes se croyant dans des harems, pour se rouler dans la luxure…
L’originalité de Louÿs est de décrire des prostituées complices, imaginatives, comédiennes et délurées au point où c’est elles qui décident des jeux et des actes (les plus pervers possibles), le client n’étant en fait que trois bourses à vider !
Elles en font tellement que l’auteur défaille, se plaint, déprime, frémit d’horreur devant la capacité de vice des trois filles, et de leur mère indigne, dressant ses filles au sexe et aux actes les plus sales ou pervers.
Les crises de lubricité, de nymphomanie, de désespoir ou de crise de nerfs se succèdent, l’auteur nous jetant au visage l’aspect morbide et désespéré de la sexualité totalement débridée.
Le fait qu’il annonce ce récit comme « absolument authentique » avec une mère de 36 ans, puis les filles de 20, 14 et 10 ans, peut glacer le lecteur (à Londres et Paris, des milliers de très jeunes prostituées remplissaient des quartiers pauvres, et se vendaient pour survivre…)
Un livre unique, noir et vibrant, qui prend à la gorge et aux tripes, dont je ne comprends pas le but exact. Provocation ? Vice ? Exhibition ? Sauf cette folie de sexe et de plaisir, que l’on retrouve en masse en photos, tableaux, illustrations… suite au puritanisme et à l’odieuse hypocrisie d’une bourgeoisie coincée et déshumanisée.
Les éditions Allia ressortent le texte intégral de cet épisode extrême, ou le poète symboliste devient un pornocrate et un pervers polymorphe.
Pierre Louÿs mourra à 55 ans, ruiné, à demi aveugle et paralysé (à cause de la syphilis ?), non sans avoir été décoré deux fois de la légion d’honneur !
Trois filles de leur mère de Pierre Louÿs. Éditions Allia. 224 pages. 9 euros 50. Du même auteur : Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation ». Même éditeur (à son époque, ces livres étaient vendus sous pseudonyme et en secret).
Visuel © Éditions Allia