Entre Malick et Wenders, une remise à jour du Western. Tel qu’il est vraiment vécu aujourd’hui par les indiens.
« Tout ce qui est sauvage a un quelque chose de mauvais. On aimerait bien s’en séparer, mais on en a besoin pour survivre« . Cette phrase ouvre Les chansons que mes frères m’ont apprises. C’est Johnny, un jeune lakota qui la prononce, en regardant au loin les horizons de Pine ridge, une réserve indienne du Dakota du Sud.
Le film de Chloé Zhao a beau filmer une réalité rugueuse, il est plutôt doux. Peut-être parce que ça ne sert plus à rien d’être en colère devant le sort des indiens d’Amérique aujourd’hui.
Johnny voudrait bien quitter la réserve, aller s’installer à Los Angeles avec sa copine, pour devenir boxeur. Seulement voilà, son père vient d’être retrouvé mort dans un incendie. Johnny va devoir choisir : partir ou voir son rêve partir en fumée en restant pour s’occuper de sa soeur Jashaun.
Voire un peu plus, quand il s’avère que son père était aussi celui d’une bonne partie des enfants de la réserve. Les frères du titre sont ceux-là, une famille au sens très large.
Pas assez de temps, ni de moyens pour les faire tous entrer dans le champs pour Zhao. Elle leur fait de place en morcelant son récit, qui imbrique moments documentaires et autres de pure fiction. Une manière de confronter l’Ouest américain tel qu’on le connait via les Westerns et le quotidien de cette réserve.
Les chansons que mes frères m’ont apprises plient des stéréotypes de cinéma à la réalité. Les indiens d’aujourd’hui continuent à grimper à cheval mais conduisent aussi des grosses bagnoles, écoutent du hip-hop, vont chez le tatoueur comme à l’église. Leur environnement n’a pas bougé depuis les batailles ou s’est illustré Sitting Bull, leurs vies oui.
C’est dans cet entre deux que Zhao raconte l’Amérique contemporaine, celle qui ne peut pas renoncer à ses racines, ses mythes fondateurs, mais qui voudrait bien aussi avancer, ne plus être tributaire de ce passé en image d’Epinal.
Comme un cercle fermé à ciel ouvert, où Johnny est coincé, retenu par son dilemme : comment quitter le seul endroit qu’on a connu jusque là? Les chansons que mes frères m’ont apprises n’a pas plus la réponse que Johnny, y réfléchissent avec lui, de manière contemplative (pas statique, il se passe beaucoup de choses dans ce film).
Zhao tente de capter, comme le ferait un Malick ou un Wenders, le mouvement naturel des choses. Et pas uniquement celui des indiens dePine Ridge, lorsque sa caméra regarde au loin, elle explore peut-être aussi ses propres errances : la réalisatrice, chinoise à quitté Pékin à l’adolescence, franchi la grande muraille pour aller voir à quoi ressemblait le reste du monde.
Au dela de sa poésie formelle, la beauté des Chansons que mes frères m’ont apprises, tient aussi à la tendresse avec laquelle Zhao filme Johnny, l’accompagne. Comme une grande soeur qui est passée par là, sait quelles épreuves il va devoir franchir, mais qu’il faudra qu’il prenne son envol. Qu’il survivra tout en gardant au fond de lui, une part sauvage.
En salles depuis le 9 septembre.