Ce week-end et ce, pour la première fois, les Francofolies proposent une audiodescription du concert de la chanteuse. Orchestré par Morgan Renault, un auteur et narrateur d’audiodescription, qui nous explique ce que c’est, un live audiodécrit.
La saison des festivals est ouverte ! Les pieds dans la boue ou les crottes de nez pleine de poussière de terre séchée, on les aime, eux et leurs galères. Mais les concerts, ce sont encore plus de galères pour les personnes malentendantes et malvoyantes.
De plus en plus de concerts traduits en langue des signes : « C’est trop important »
La pratique se démocratise et vous avez peut-être déjà vu des concerts lors desquels un ou une interprète traduisait les paroles et les inter-plateaux directement en langue des signes. Zaho de Sagazan, par exemple, en a fait l’expérience plusieurs fois. « C’est d’abord très beau, la langue des signes, c’est presque une danse, visuellement, d’avoir quelqu’un qui se donne à côté de vous » souligne-t-elle. Puis, elle ajoute, « c’est trop important, je n’avais pas conscience que beaucoup de gens malentendant‧es venaient aussi en concert ressentir la musique. C’est trop bien que des festivals mettent ça en place facilement, ils nous demandent si ça nous intéresse et si oui, font en sorte que ça arrive. »
Les premiers concerts adaptés pour les malvoyant‧es
Faisons une petite expérience. Fermez les yeux, imaginez que vous ne pouvez plus les rouvrir, du tout et que vous vous retrouvez dans un concert. Comment faire si on n’y voit goutte et qu’on veut aller vivre le concert de Zaho de Sagazan aux Francofolies ce week-end (par exemple) ?
Bande de veinards malvoyants et très bien entendants, il se trouve justement que, pour la première fois, les Francofolies orchestrent une audiodescription du concert, accessible aux festivalier‧es qui en font la demande.
Qu’est-ce que c’est, un concert audiodécrit ?
Les malvoyants entendront Morgan Renault, auteur et narrateur d’audiodescription, en direct dans leur casque pendant tout le concert. Lui, il sera très bien placé pour tout voir. Il va d’abord planter le décor comme au théâtre, décrire la scénographie, la lumière, les couleurs, puis quand ils arrivent, la tenue, la silhouette de Zaho et ses musiciens, leur attitude.
Et qu’en est-il des couleurs ? Les couleurs, pour ceux qui ont vu avant de ne plus voir, ça compte, mais pour ceux qui n’ont jamais vu, elles représentent quelque chose de symbolique. Ils savent par exemple que le bleu est lié à l’eau et au ciel, ou encore que le jaune est chaud.
Ensuite, place à la musique.
Évidemment, cela peut sembler super relou d’avoir quelqu’un qui parle par-dessus la musique sans arrêt. Alors pour ne pas être intrusif, une fois le concert lancé, Morgan doit être précis et rapide, » Je vais profiter des interstices, suivre les déplacements de Zaho, ses gestes, si elle fait des signes à la foule, par exemple, car rien de plus frustrant que d’entendre les gens rire et de pas savoir pourquoi c’est drôle, ou taper dans les mains tous en chœur » explique Morgan.
Le tout pour que la dizaine de festivaliers malvoyant‧es puissent vivre le festival comme les autres.
« On utilise des mots qui sonnent, des jolis mots »
Morgan Renault fait ce travail d’audiodescription depuis 15 ans, au départ pour des films et des séries, que ce soit au cinéma ou à la télévision. Il explique qu’il aime se dire « auteur et narrateur d’audio-description », parce que les mots comptent, « on utilise des mots qui sonnent, des jolis mots. » Ce métier a été à l’origine développé plutôt pour le cinéma.
L’audiodescription au cinéma, de Coppola à Indiana Jones
Morgan Renault explique que, comme ce domaine est encore expérimental en France, « c’est passionnant de se sentir pionnier ».
L’audiodescription a été développée fin des années 1970 à l’initiative de Francis Ford Coppola. À l’époque, un professeur de l’université de San Francisco rendait visite à un professeur aveugle et se rendait compte que lorsqu’ils étaient devant la télévision, sa femme lui murmurait des infos à l’oreille.
Il en parle au directeur de l’université qui n’était autre qu’Auguste Coppola, le frère de Francis Ford, père de Nicolas Cage. Francis a alors invité des étudiants français à travailler sur ses films pour développer l’audiodescription.
Les étudiants sont ensuite revenus avec des extraits du film Tucker et fin 1980, à Cannes, a été diffusé pour la première fois un petit bout d’Indiana Jones en audio description. Celle-ci s’est développée en France encore plus qu’aux États-Unis grâce à ces trois étudiants.
Et « depuis quelques années, on assiste à un véritable boom de l’audiodescription », nous explique Morgan Renault, notamment parce que le CNC finance désormais l’audiodescription au cinéma, de nouvelles lois imposent des quotas de film audio décrits dans l’offre cinématographique.
« J’ai aussi été musicien, donc j’ai toujours voulu croiser l’audiodescription et la musique »
Morgan Renault
Pour les Francofolies, Morgan a travaillé à partir d’une captation du spectacle de Zaho de Sagazan au Printemps de Bourges pour apprivoiser le décor, les instruments et le personnage, étudier silhouette, les traits du visage de Zaho et ses musiciens, leur visage, leur attitude et leur manière de bouger….
A l’initiative : l’association rochelaise Valentin Haüy
Cette association travaille à l’inclusion des malvoyant‧es et les aveugles depuis plus de 130 ans. Son objectif : Permettre à toutes les personnes déficientes visuelles d’avoir accès à la culture, et favoriser leur insertion dans des événements de grande renommée comme n’importe quel autre public.
À sa tête, Anne-Gaël Tardieu, membre du comité depuis sept ans et actuelle présidente, est elle-même malvoyante.
« Je perds progressivement la vue depuis 12 ans, raconte-t-elle, aujourd’hui, ça s’accélère et je suis à la limite de la cécité. J’ai toujours été dynamique et j’ai refusé de vivre une vie entièrement chez moi. Je me suis rendue au comité de la Rochelle et j’ai rejoint l’association en me disant ‘il faut faire quelque chose’. »
Ce sont donc ces membres qui vont former en express une équipe pour apprendre aux bénévoles à accueillir les festivaliers, les accompagner, les orienter, leur décrire les choses dont ils ont besoin pour se déplacer, manger et faire pipi dans les toilettes de festoche qui puent, comme tout le monde.
Parce que ce sont ça les festivals, de belles galères que tout le monde mérite de vivre à égalité
Bien que cela fasse plusieurs années que le festival des Francofolies travaille à améliorer ses dispositifs d’accueil pour les personnes en situation de handicap, celui-ci est tout nouveau. Zaho est plutôt pionnière en la matière. Les derniers concerts adaptés aux malvoyants se sont déroulés en France aux Transmusicales de Rennes grâce à l’association locale Souffleurs d’images et dans ceux de Soprano en octobre 2023.
Cette expérience sensorielle intéresse aussi les voyants. La diffusion de films en salle complètement dans le noir tend à se développer de plus en plus pour ces derniers, intrigué•es par ce que ressentent les non-voyant‧es. On pense à cette tournée du duo Amadou et Mariam baptisée « Eclipse », en 2012, conçue et donnée dans le noir total.
Pour les personnes sourdes, des innovations techniques
Le festival Jazz À Vienne, par exemple, a acheté des gilets vibrants créés initialement pour les gamers ou les cinéphiles, mais dont les récepteurs viennent capter l’environnement sonore et retransmettre les fréquences de la musique live grâce à des vibrations.