Retour sur l’émission « Pudding » du 9 décembre 2012, dans laquelle Nahal Tajadod nous présente « Elle joue »
Rappelez-vous, Nahal Tajadod est intervenue à l’antenne de Nova lors de l’émission dominicale « Le Pudding » pour son nouveau roman « Elle joue », paru aux éditions Albin Michel. Elle nous livre le portrait d’un Iran comprenant deux réalités, produits d’une histoire tourmentée.
L’Iran est depuis quelques années au cœur de l’actualité médiatique quotidienne, perçue comme une menace géopolitique importante, incarnée par la figure de son dirigeant. Et pourtant, quand Nahal Tajadod revient sur son pays, une chose majeure en ressort: L’héritage de cette civilisation ainsi que son histoire nous échappe encore.
Le « Pudding » du 9 décembre dernier permet de contextualiser et de clarifier les choses. La discussion s’étend sur le portrait d’un Iran à deux visages : celui d’avant la Révolution de 1979 où les mœurs sont plus libérées mais gangrénées par l’oppression du Shah, et le contemporain, immergé dans une atmosphère islamique extrêmement liberticide.
En toile de fond, Nahal Tajadod nous livre certains de ses souvenirs de jeunes filles qui l’ont marquée et construite, sans oublier son amour inconditionnel pour la genèse des religions préislamiques. Un portrait de l’Iran qui contribuera à la manifestation d’une identité culturelle propre, oscillant toujours entre deux tendances intimement liées mais opposées. Comme l’auteur le rappelle au cours de l’entretien, Je suis l’enfant et le vieillard qui est un des concepts hérités de la littérature sacrée iranienne. Cette image manichéenne séculaire sonne comme une prophétie, et permet de cerner les contours des frontières de l’Iran de Nahal Tajadod.
Nahal Tajadod a connu son pays avant la Révolution de 1979, responsable de l’extinction du régime du Shah. Née en 1960, elle revient sur ses jeunes années où elle connut un Iran certes bridé par les dérives autoritaires du Shah et son fils, mais dans laquelle l’influence des valeurs occidentales régnait en maître. Il existe une antinomie dans la société iranienne de cette époque : dotée d’une société civile empreinte de modernisme et soutenue par un dirigeant pro-occidental, elle est perturbée par un conservatisme religieux poussé à son paroxysme, à la source du soulèvement populaire de 1979.
L’écrivain raconte qu’à l’annonce officielle de l’interdiction du port du voile, mesure portée par le Shah, sa grand-mère s’empresse de se couper les cheveux courts « à la garçonne ». Un soutien symbolique à l’influence progressiste occidentale. Cependant, comme dans toute société civile, les choses ne sont pas uniformes. Une frange de la population acceptera facilement l’évolution des mœurs, tandis que d’autres la refusera de façon catégorique. La Révolution a été le fruit d’une réaction du peuple et de l’influence religieuse suite aux modernisations forcées du régime du Shah.
D’autant que la personnalité du dirigeant n’incarne pas la paix sociale. Le pays est mené d’une main de fer. Toute revendication en faveur des droits de l’Homme ou de la liberté d’expression, est réprimée dans le sang, l’oppression et la peur.
un chemin de lumière qu’elle devait parcourir…
L’auteur de « Elle joue » vit l’éviction du Shah en surface : elle se trouve en France pour ses études de langues à cette période-là. Ce n’est qu’à l’occasion des vacances qu’elle se rend compte de l’ampleur du mouvement. Entre exaltation et crainte, elle ignore quels sont les changements qui vont découler de cette Révolte. L’euphorie populaire n’a été que de courte durée. Rapidement, avec l’arrivée au pouvoir de Khomeini, le nouveau gouvernement devient entièrement basé sur l’islam, et la répression reprend. On bascule alors vers un Iran nouveau, très conservateur. La place des femmes dans la société s’amoindrit, elles acquièrent un statut de subalterne.
À l’instar de ses semblables, Nahal Tajadod se construit en tant que femme indépendante et érudite à des milliers de kilomètres des tensions quotidiennes qui sont monnaie courante dans son pays. Elle n’a jamais ressenti que la France était une terre d’exil, il s’agit plutôt d’une deuxième identité. Au contraire, dans les années 80, elle entame un périple universitaire et intellectuel qui la comble. Entourée par des personnalités brillantes comme Michel Tardieu, elle commence une quête identitaire et spirituelle par l’intermédiaire de ses travaux. Il s’agit de traduction de textes chinois très anciens relatant de l’empreinte des Iraniens au sein de la Cour Chinoise concernant leur volonté de diffuser leurs religions à travers le Monde. Elle vit cette expérience comme une destinée remplie de félicité : elle devient l’Iranienne capable de travailler sur les relations Iran/Chine pendant la période de la route de la soie dans son pays de cœur, la France.
Puis, arrive le jour où elle se fait l’intermédiaire du poète Perse Rûmi en Occident, qui sera son maître penseur au quotidien. Par peur de représailles de la part du régime iranien, elle hésitait à publier son dernier livre “Elle joue”. Alors elle interroge le sage Rûmi qui lui confia que ce livre était un chemin de lumière qu’elle devait parcourir…
Une histoire que l’on raconte n’est pas la même que celle que l’on écoute.
L’histoire qu’elle nous présente maintenant n’est pas une critique acerbe du régime, c’est seulement un ouvrage témoignage entre deux femmes. L’une née sous les représentations de Bob Wilson au théâtre, et l’autre qui a évolué sous les bombardements de Saddam. Malgré tout, toutes deux sont nées sur le même sol.
Nahal Tajadod n’essaie pas de donner des réponses, elle nous éclaire juste à la lumière de l’ambiguïté et des contradictions caractéristiques d’un pays à la tradition manichéenne. Il ne faut pas oublier ces deux réalités qui forment le vrai visage iranien. C’est véritablement cette dualité qu’elle veut nous dépeindre, en toute franchise. Et sans prétendre pour autant nous donner la clé à la compréhension de cette identité singulière.
Et comme elle le dit si bien,
Une histoire que l’on raconte n’est pas la même que celle que l’on écoute.
Nous vous laissons méditer sur ce portrait de femme, intimement lié à celui de son pays qui nous paraît de moins en moins étranger…
Merci Nahal Tajadod pour ce tour d’horizon rempli d’espoir !
Pour réécouter le podcast de l’émission « Pudding » du 9.12.12, c’est par ici.