« Afro-Latin Soul volumes 1 & 2 » : depuis New York, l’éthio-jazz avant l’éthio-jazz ?
On considère, parce qu’il en est la figure la plus importante, l’Éthiopien Mulatu Astatke comme le fondateur de l’éthio-jazz, ce genre qui fusionna, à partir des années 60, la musique jazz, la soul occidentale, la musique latine, et les musiques folkloriques éthiopiennes. Le multi-instrumentiste, dont la carrière a véritablement décollé à l’international à partir du moment où le cinéaste Jim Jarmusch a intégré, en 2005, les morceaux « Yegelle Tezeta » et « Gubelye » à la bande-son de son film Broken Flowers (avec Bill Murray) et à la sortie de la collection Ethiopique (chez Buda Musique), a également mis du temps à devenir prophète dans son propre pays, et à devenir celui que l’on nomme désormais le « Godfather of éthio-jazz ».
Initialement destiné à devenir ingénieur (il suit de courtes études dans la ville de Birmingham, en Angleterre, selon la volonté de ses parents), le jeune Mulatu s’oriente rapidement vers la musique, qu’il a commencé à pratiquer en Éthiopie (il est percussionniste de formation, et joue notamment du vibraphone et des congas), et rejoint le Trinity College of Music de Londres, avant de devenir, à New York, le premier Africain à intégrer le Berklee College of Music de Boston, l’une des plus grandes écoles de musique privées des États-Unis.
Nous sommes à la frontière des années 50 et des années 60 (le genre de changement de décennie qui implique plus qu’un changement de dates), et, parce qu’il a découvert en Amérique et aux côtés, notamment, de Duke Ellington, la musique jazz, il commence à songer à ce que pourrait impliquer la rencontre de cette musique avec celle qu’il connaît, et qu’il pratique, depuis son plus jeune âge, celle d’une Éthiopie pas encore plongée dans la grande guerre civile de 74-91.
Depuis New York, les prémisses de l’éthio-jazz
Avec quelques compères (le trompettiste et pianiste Rudy Houston, qui joua avec Yambu, et Felix Torres, qui accompagna La Sonora Ponceña), il fonde alors, depuis New York, où il réside et où il traine (on y rencontre du monde, dans la Grosse Pomme…), The Ethiopian Quintet, un projet formé avec des musiciens éthiopiens, latins et afro-américains, une expérience nourrit, aussi, par des rencontres qui bouleverseront l’histoire de la musique africaine. Mulatu Astatke : « Ce fût passionnant d’être à New-York au milieu des années 60. J’y étais au même moment que Hugh Masekela, Miriam Makeba et Fela Kuti – chacun a œuvré pour positionner l’Afrique sur la carte du jazz contemporain. »
Ce grand mix culturel et cette effervescence intellectuelle, elle aboutit, en 1966, à la sortie d’Afro-Latin Soul volumes 1 & 2, deux sessions d’enregistrements découpées en deux parties distinctes et hébergées sur disques par le label Worthy Records. On associe Mulatu Astatke à l’Éthiopie et à sa capitale Addis-Abeda. C’est donc pourtant bien à New York que l’histoire de l’éthio-jazz débutera.
Ces compositions ont été des étapes importantes pour moi
Mulatu Astatke : « Nous avons créé des ambiances et arrangements différents. Sur la première session, j’ai notamment joué une adaptation d’un vieux chant guerrier éthiopien, « I Faram Gami I Faram » – les paroles ont été traduites afin que l’interprète puisse la chanter en espagnol. Certaines compositions ont été des étapes importantes pour moi : « Mascaram Setaba » (« Summer Is Coming »), « Shagu » et « Almaz ». Sur le deuxième volume, j’apprécie tout particulièrement « Girl From Addis Ababa », qui est une parfaite rencontre entre modes éthiopiens et rythmes R&B. »
Ces deux sessions, capitales dans la construction de l’oeuvre discographique de l’Éthiopien, font figure de prémisse à ce genre, l’éthio-jazz, et à cet album, Mulatu of Ethiopia, qui sort en 1972 et qui lance de manière plus formelle la carrière d’un artiste qui, avec d’autres, animera brillamment cette Éthiopie que racontera récemment brillamment Ernesto Chahoud à travers la compilation Ernesto Chahoud presents Taitu: Soul-fuelled Stompers from 1970s Ethiopia.
Afro-Latin Soul volumes 1 & 2 de The Ethiopian Quintet. Sortie chez Strut Records le 20 juillet, réédition de 1966 avec pochette originale et remastering par The Carvery. L’édition vinyle contient également des liner notes de Mulatu Astatke, lui-même.