Depuis deux ans, le travail des associations féministes avait permis d’ouvrir un débat (houleux et) nécessaire en Argentine.
L’adoption du texte par les députés argentins ne tenait déjà qu’à un fil. Ceux-ci avaient voté le 14 juin dernier pour une légalisation de l’avortement, à 129 voix contre 125. Les Sénateurs (qui sont seulement 72 en Argentine) viennent d’enterrer ce projet de loi, rejetant ainsi la légalisation de l’avortement en Argentine. Ce 9 août, trente-huit d’entre eux ont voté contre le texte, contre 31 « oui » et deux abstentions. À Buenos Aires, devant le Congrès, des hurlements de joie se sont fait entendre, sous les feux d’artifice. Une foule anti-IVG a célébré cette décision sénatoriale, agitant des foulards bleus, signe de ralliement. En face, les foulards verts des pro-choix servaient plutôt à sécher les larmes.
Du côté des militantes pro-choix, on a l’habitude de l’échec : depuis 2007, le texte a été présenté six fois au Parlement. C’est la première fois qu’il va aussi loin dans le processus législatif. Chez les militantes féministes, on se réjouit néanmoins que la question, encore récemment étouffée par la honte et le conservatisme, ait été élevée au rang de débat national. Un débat ouvert au Parlement par le président argentin Mauricio Macri (centre-droit), pourtant lui-même anti-IVG, mais qui a finalement cédé aux pressions des mouvements féministes (et au chant des sirènes à l’idée de remonter un peu dans les sondages, dit-on).
Un combat populaire et massif
Le mouvement anti-IVG argentin n’a pas, comme en France en la personne de Simone Veil (à qui l’on doit la loi Veil de 1975 légalisant l’avortement), de figure de proue. C’est un mouvement collectif, associatif, militant, populaire. « Il y a, en Argentine, une longue tradition de politisation, de lutte des femmes. », expliquait dans Le Monde le 8 août l’historienne et sociologue argentine Dora Barrancos, qui rappelle par exemple que les Mères et les Grands-Mères de la place de Mai luttent depuis quarante ans pour obtenir la vérité sur les disparitions d’opposants politiques pendant la dictature. C’est d’ailleurs la fin de cette même dictature (en 1983) qui provoquera une « résurrection du féminisme », selon les mots de la chercheuse. Cette résurrection est à l’origine du combat pour les droits politiques et sociaux des femmes, et notamment celui à l’avortement.
Les cris d’espoir d’une foule déçue, triste, en pleurs : « va a ser ley! » Ce sera légal !
— Angeline Montoya (@angelinemontoya) August 9, 2018
C’est en effet juste une question de temps, mais le projet ne peut pas être réexaminé avant 2019. Entre-temps, des dizaines de femmes mourront dans des IVG clandestines. #AbortoLegalYa pic.twitter.com/URRvs3YCIq
Autre signe d’un mouvement populaire et à grande échelle, la lutte pro-IVG naît au sein de discussions dans des commissions informelles. Celles-ci se tiennent lors de rassemblements qui ont lieu depuis 1983 : les Rencontres nationales des femmes. Ces discussions donneront naissance à différents mouvements militants, qui eux-mêmes produiront des manifestes écrits. Le projet de loi qui vient d’être rejeté par les sénateurs en est directement inspiré.
Les tournants #NiUnaMenos et #Metoo
En 2012, la justice argentine détermine, lors d’un procès pour inceste, que les hôpitaux doivent procéder aux avortements demandés en cas de viol. C’est le début du mouvement pro-IVG actuel.
Trois ans plus tard, on vous en parlait d’ailleurs l’année dernière dans un reportage depuis Buenos Aires, le mouvement #NiUnaMenos fait naître en Argentine un féminisme vocal, manifestant, connecté. Deux ans après, #Metoo finira d’enfoncer le clou. Les réseaux sociaux seront un outil indispensable dans l’élaboration du mouvement anti-IVG, notamment dans l’organisation de manifestations massives. C’est la naissance d’un nouveau hashtag et slogan : #AbortoLegalYa (« L’avortement légal maintenant ») qu’on a entendu partout scandé dans les rues de Buenos Aires ces dernières semaines.
Problématique régionale
Le très fort poids de l’Église et de la religion en Amérique centrale et du Sud, et les valeurs politiques conservatrices qui en découlent, font obstacle dans de nombreux pays aux législations pro-choix. En Argentine particulièrement, puisqu’il s’agit du pays d’origine du Pape actuel.
Pourtant, comme le souligne le New York Times, le mouvement argentin a galvanisé de nombreux autres mouvements féministes à travers l’Amérique latine. Pour l’instant, seuls l’Uruguay, Cuba, Mexico et la Guyane française autorisent l’avortement. En Argentine, il restera autorisé en cas de viol et de danger pour la mère.
La loi est quasi-similaire au Brésil. Mais suite au combat mené par les associations féministes, un débat a été ouvert à la Cour Suprême brésilienne pour débattre de la constitutionnalité de ces textes. Se succèdent donc à la barre du Congrès (majoritairement masculin) défenseurs des droits humains, représentants religieux ou encore du corps médical. Et le débat public est en route. Au Salvador en revanche, l’assemblée législative s’est refusée, en avril dernier, à voter des textes assouplissant la loi, qui interdit totalement et en toutes circonstances l’IVG. Au Chili, l’avortement a été partiellement légalisé jusqu’à la dictature militaire. En 2017, les parlementaires l’ont de nouveau autorisé dans certains cas, classiques, danger pour la mère ou pour le foetus, et en cas de viol.
Visuel © Capture d’écran New York Times