L’art fantastique a été l’underground et la science-fiction des nos ancêtres.
L’Art Fantastique, gothique, diabolique fait des apparitions remarquées et régulières depuis plus de deux siècles. Des 1770, on ne croit plus au discours critique de Voltaire, ni aux utopies de Rousseau : la révolution gronde et les romans deviennent fantastiques.
Après la cour d’Espagne, en soie turquoise et rouge, Goya va peindre des sabbats de sorcières, des malédictions.
Le siècle des lumières va s’éteindre.. Les français imaginent des moines et des nonnes dévoyés et diaboliques.
Puis ce sera la terreur, la guillotine et les guerres napoléoniennes. Là encore, la «vertu» révolutionnaire se corrompt et le soleil de l’empire fait place à l’obscurité des ravages dans toute l’Europe.
On lit Dante et son enfer, Goethe et son Faust, on ressort des mythologies antiques avec des monstres: Gorgone, Minotaure, Cyclope..
L’anglais William Blake multiplie gravures et aquarelles mythologiques avec démons, nymphes ou anges déchus, tirés de vieilles légendes et de récits bibliques (voir ci-dessous).
Les peuples doutent de la raison, qui échoue devant la réalité, «le discours de la méthode» de Descartes se brise devant l’irrationalité des évènements. Accepter l’irréel, peindre le purgatoire, les démons et les dragons de l’enfer, mais aussi les fantômes, les ruines et les paysages inquiétants, les brumes propices aux apparitions et aux visions, voilà ce qui tente les artistes.
Un siècle passe, et contre la société puritaine, victorienne et hypocrite, les anglais imaginent Dracula et Frankenstein, des romans à succès où des vampires importés des Carpates viennent pomper le sang des vierges et où des monstres – recréés avec des cadavres et de la foudre – reviennent du royaume des morts, plus forts que les vivants !
L’Egypte passionne avec ses mystères et ses momies, les pharaons revivent quand on prononce les formules magiques, et les sociétés occultes se multiplient à Londres, à Paris et au Caire..
Les peintures et sculptures montrent grottes du royaume des morts, crevasses rougeoyantes des enfers, masques mortuaires et visages de succubes et de méduses qui sont les thèmes de prédilection des romantiques, qu’on appelle aussi symbolistes.
La femme est un élément de ce théâtre de l’autre monde : elle incarne la tentatrice maléfique, la beauté spectrale qui hypnotise.
Les peuples du nord peignent des glaces fracassées, des montagnes acérées, des forêts noirâtres sous des ciels plombés, des falaises et des chutes vertigineuses, royaumes des fées, des elphes et des magiciens.
Puis les artistes se libèrent des textes anciens comme la Bible qui servent d’alibi. L’ile des morts de Böcklin, ou le cauchemar de Fussli sont des créations directes qui font scandale dans les salons.
Baudelaire écrit: «le beau est toujours bizarre», et il doit même défendre Delacroix considéré comme un peintre aux sujets torturés, aux personnages maladifs et fiévreux. Le Romantisme, le Symbolisme sont des écoles de peintures suspectes. Les institutions clament: «l’art classique est sain, le romantique est malsain». Les artistes devront choisir leur camp.
Toute la fin du 19eme siècle sera marqué par ce mouvement romantique. Hugo peint des ruines, des tours gothiques, des châteaux mystérieux et écrit Notre-Dame de Paris où un monstre sauve une gitane des flammes, accusée de sorcellerie. La mode gothique est née.
L’élite préfère les contes horrifiques d’Edgar Poe, de Lovecraft ou de Barbey d’Aurevilly, à la réalité des l’industrialisation, de la science et des usines qui envahissent le monde.
A peine passées la belle époque 1900 et les années folles, que les surréalistes vont définitivement asseoir ce genre si spectaculaire dans la culture populaire.
Le 20eme siècle va se gaver de fantastique et d’horreur grâce au cinéma: c’est l’art parfait de l’illusion, et tous les succès et images de la peinture fantastique vont envahir les écrans.
Après des siècles de marginalisation, le musée d’Orsay (ancienne gare ressemblant à un temple symboliste, ou fut tourné «Le procès» d’Orson Welles d’après Kafka, film visionnaire entre fantastique et expressionisme), ce lieu rétro, très adapté au thème, nous offre une panorama complet de cet art marginalisé dans les histoires officielles.
A voir également: des projections des premiers films d’épouvante (Nosferatu, Vampyr, Histoire de la sorcellerie…), modèles parfaits qui ont inséminé tous les films d’horreur actuels.
L’Ange du bizarre
Le romantisme noir de Goya à Max Ernst
Du 5 mars au 9 juin 2013
Musée d’Orsay .
1 rue de la légion d’Honneur . 75007