Lieux undergrounds d’hier
Jacques Yonnet fut un drôle d’oiseau : résistant, puis vagabond inspiré, puis dessinateur et même sculpteur, mais aussi un curieux érudit du Paris historique et quelque peu magique. En 1954 son livre Rue des maléfices est salué unanimement.
Je repense à Arsène Lupin, à Fantomas, et aussi au Boeuf sur le toit, cabaret d’avant-garde, aux Lettristes puis Situationnistes, à Huysmans, à tous les poètes et rêveurs qui ont réinventé ou redécouvert Paris… tout un siècle de résistance finalement à ce qui allait s’appeler « Urbanisation ».
Les éditions L’Échappée ressortent Troquets de Paris, chroniques du même Jacques Yonnet, mais dans les années 70 (il décède en 1974). Exactement les BONS PLANS d’ACTUEL ou de NOVAMAG, mais avec une folle mémoire en plus.
Pressentant peut-être la fin des vrais Zincs, gargotes, marchands de vins, et de ce qu’ils avaient à raconter, il remonte sans peine à Balzac, Dumas ou aux frères Goncourt, mais aussi à Françoise Sagan, grâce aux histoires transmises par les patrons et clients…
Époque de flânerie, de bouquinistes, de « biffins » et de chineurs, ou chacun pouvait errer, pour un objet, une rencontre ou une histoire, qui suffisait à remplir une journée. Rêveries de promeneurs solitaires, magie d’une cité encore populaire.
Amoureux des bars et lieux ou les patrons ont beaucoup de souvenirs, Yonnet a finalement fait des lives documentaires, et réalisé comme tous les poètes le côté « chef-d’œuvre en péril » de nos villes, charriant secrets, amours et utopies que le temps arrache petit à petit et oublie dans le caniveau.
Bien sûr il préfère les gitans, les érudits, ou les simples habitués, les illustres inconnus qui « savent » pleins de choses, ce qu’il a appelé dans un autre livre la « Chronique Secrète d’une ville ». Que reste-t-il de pittoresque aujourd’hui ?
C’était avant les « Brèves de comptoirs » best-seller de Gouriot, ou le comique vient de l’inculture et du mélange de pinceaux et de méninges désertées !
Là, on est encore dans l’histoire, la vraie, les mœurs avant les « blagues » et les gens avant les « vannes ». Vers 1980, cette « continuité » en prend un coup…
L’auteur nous avait mis en garde : « Si nous ne réagissons pas , il en sera fait de l’essentiel de notre bien-être quotidien, de notre modeste et quasi permanente joie de vivre …»
On n’a pas réagi.