Mai 68 c’était hier. Une belle chronique d’époque rappelle que ça sera peut-être aussi demain.
Il y a parfois de drôles de coincidences, des résonnances inattendues qui prennent l’ampleur d’un coup de tocsin. Il n’aura échappé à personne que le pays est ces temps-ci à bout. A bout d’une cinquième république qui s’effrite, à bout d’un dialogue de sourds entre classes populaires qui ruminent leur colère et gouvernement qui s’enferme dans une idéologie libérale. Le ton et les barricades montant de concert, l’impression d’avoir été avalé par une machine à remonter le temps qui ramènerait vers la cocotte-minute de Mai 68 se cristallise. 68 c’est l’année ou Robert Linhart, un universitaire se fait engager comme OS dans une usine Citroën pour tenter de ranimer un feu révolutionnaire déjà en train de s’éteindre. Il en tirera dix ans plus tard un livre, L’établi, récit de cette expérience, qui deviendra un manuel du militantisme gauchiste. Dix ans, c’est plus moins le temps qu’il aura fallu à Matthias Gokalp pour en tirer un film. Et paradoxalement celui pour se faire rattraper par une époque où le rapport au travail est redevenu un enjeu crucial, voire d’avenir.
Et du coup un film qui remet l’ouvrage sur le métier ?
Plus que jamais : au delà d’une reconstitution plus vraie que nature du monde ouvrier d’il y a cinquante ans, mais aussi la reconstruction d’un cinéma engagé qui a longtemps déserté la production française, L’établi sidère par sa superposition des contextes, celui d’hier et celui d’aujourd’hui se rejoignant dans une description commune d’un monde rongé par le capitalisme et de son besoin d’utopies rêvant d’en finir avec lui, d’une hiérarchie entre bourgeoisie et prolétariat reposant déjà sur une exploitation des seconds par les premiers. L’établi s’extraie rapidement de sa gangue de film d’époque tant ce qu’il désigne, de l’usure du travail à la chaîne à la précarité entretenue ou un maintien de l’ordre par la répression fait écho à la situation actuelle, la fiction sur hier se faisant quasi documentaire sur aujourd’hui. Y compris dans les nuances qu’amène un scénario n’occultant pas des doutes et des failles dans le combat mené par Linhart. Un recul étonnamment consumé par l’urgence du moment à repenser les choses, si tant est qu’il y en aie encore la possibilité avant l’échéance d’un conflit généralisé. A ce titre, L’établi, s’adresse sans doute plus aux jeunes générations militantes qu’à ceux qui ont vécu l’après-mai 68, dans un mélange à fois de désillusion et d’espoir quand pendant une scène forte, Linhart lance qu’il « trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire ». L’impact de ce beau film est dans ce « peut-être » invitation à achever désormais ce qui n’a pas pu avoir lieu alors.