« Il Pleut aussi sur Beyrouth » de Caroline Bourgeret, un journal sous les bombes
On est un matin dans un café parisien. Ca aurait du être une terrasse, mais le ciel est sombre et il fait humide. Sur la table un journal, un livre et une hésitation légitime. La motivation s’allume comme une cigarette de compagnie et la première page de « Il Pleut Aussi sur Beyrouth » de Caroline Bourgeret se tourne. 1h après, je relève la tête un peu hébétée, et comme au réveil il me faut quelques minutes pour savoir où je suis. Je sais que j’ai un peu pleuré à la lecture du poème de Prévert « Barbara », Prévert me fait toujours cet effet mais il n’est pas ici le seul responsable.
Il n’y a pas de doute, la guerre c’est triste et celle du Liban en 2006 n’est pas une exception, mais c’est la nature du témoignage qui rend la lecture particulièrement touchante. « Il pleut aussi sur Beyrouth », ce sont des lettres non envoyées, un journal intime épistolaire à la sincérité et simplicité évidentes.
Caroline a à peine 23 ans, elle est à Beyrouth depuis quelques mois, une ville dont elle apprend à habiter la douceur. Elle travaille pour une boite de production télé et le soir, elle et ses amis font la tournée des bars. Les lettres ouvrent sur l’insouciance des premières expériences, l’humour des galères qui n’en sont jamais tout à fait.
Et puis les bombes commencent à tomber. Nous sommes en 2006 et Israël déclenche l’offensive contre le Liban. La lettre s’étonne, refuse d’y croire et s’ensanglante. La sensation d’irréalité domine, vite évacuée par l’expérience qui pince pour dire que c’est bien pour de vrai. Caroline se retrouve propulsée correspondante d’une guerre à laquelle rien ne l’avait préparé, pour des médias français qui pensent JT, pastille de guerre entre 2 reportages sur les transports et les plages.
Cette expérience se vit au présent, effrénée, terriblement drôle parfois, comme peuvent être drôles les instants désespérés, la vodka aidant. Une Bridget Jones de l’horreur. L’humour fait survivre, et puis il y a les autres moments où l’humour ne suffit plus.
Ce premier récit est entrecoupé de respirations prises bien plus tard, d’autres lettres plus posées, plus introspectives, écrites alors que Caroline est devenue une journaliste reporter professionnelle. Elles sont des regards à rebours sur ses propres réactions, des mises en garde aussi sur les réactions à venir, celles des autres. L’effet de miroir, s’il permet le deuil d’une expérience ponctuelle, crée aussi la perspective intérieure vertigineuse de quelque chose qui n’a jamais de fin. Caroline s’adresse à cette version plus jeune et plus naïve d’elle-même, parfois avec tendresse, souvent avec mélancolie…Des mots qui se veulent rassurants mais qui pourtant inquiètent tant ils savent que le plus dur est à venir. Le dessin au pinceau noir et blanc de Sophie Raynal, qui accompagne l’alternance des temps, joue de ces ambiguïtés, se fait tout à la fois douceur et violence dans un onirisme aux détails cruellement réels.
Ces correspondances intimes, laissent entendre l’indignation, la prise de conscience violente, mais elles excluent l’analyse politique, là n’est juste pas vraiment le sujet. Etrangement, à travers l’abondance de détails, le particulier de l’expérience, ce n’est pas une guerre, mais la guerre qui se dévoile, celle qui toujours transforme, modifie, bouleverse, inverse, révèle, l’intime comme l’universel.
« Il pleut aussi sur Beyrouth », Caroline Bourgeret, dessins de Sophie Raynal, Nova éditions, 96 pages, disponible depuis le 15 mai 2013, par ici.