Pas besoin d’être à la capitale pour que ces trois mots de latin résonnent avec une considérable acuité : « Fluctuat nec mergitur ». Traduction, pour celles et ceux qui n’auraient pas le Gaffiot ou Wikipédia à portée de main : « Il est battu par les flots, mais il ne coule pas ». Une devise que l’équipage de l’IBoat pourrait faire graver sur la coque de son navire, tant les eaux saumâtres et tempétueuses de la situation sanitaire l’ont brinquebalé, comme ses confrères, de Charybde en Scylla. De quoi se retrouver à poil, au figuré, mais aussi au sens propre, pour la photo (redessinée) de la nouvelle année.
Amarré sur les Bassins à Flots, dans un quartier du nord de la ville où les nouvelles constructions ont poussé alentour comme des champignons béton-et-plexiglas, le très essentiel ferry bacalanais n’attend qu’une chose : pouvoir s’extirper de la cale sèche, ressusciter la bamboche de sa proue à sa poupe grâce à son impeccable programmation, aussi bien en concert qu’en club (on pourrait passer la journée à inventorier tous les artistes faramineux qu’il nous y a été donné d’y voir).
À l’approche de son dixième anniversaire, qu’ils célèbreront fin septembre, l’IBoat, dans sa livrée flambant neuve, n’entend pas rouiller dans le petit bassin des redites. Il continue d’ourdir des projets en veux-tu en-voilà, multipliant les caps de bonne espérance vers lesquels naviguer : un bal mobile, une serre bio, des soirées à foison, une nouvelle édition de son festival Ahoy, et j’en passe. Bilans et perspectives – comme on dit chez les forces vives proactives de France Cravate – du « bateau intelligent », par la voix de son capitaine de vaisseau, le directeur artistique Benoît Guérinault.
Nova : D’où vient l’IBoat ? Quelle est – pour employer des grands mots – sa philosophie, son identité ?
Benoît Guérinault : « L’histoire de la salle est intimement liée à la carlingue qui l’abrite. L’IBoat a pris vie au sein d’un ancien ferry, « La Vendée », désarmé au début des années 2000, après trente ans de navigation sur l’Atlantique. Il y a bientôt dix ans (ce sera le cas en septembre), nous l’avons reconverti et inauguré ce bateau curieux, imaginé comme un laboratoire d’expérimentations culturelles et artistiques, à la fois salle de concert, cantine et club.
Entre musique, expositions, cinéma, photo ou arts numériques, l’équipage mi-pirate mi-explorateur de l’IBoat maintient le cap vers l’éclectisme et de l’ouverture. Groupes et DJs de renommée internationale s’y relaient en concerts comme en club, aux côtés de résidents et artistes locaux. Depuis le premier confinement, nous avons entamé de gros travaux de rénovation à bord ; un rafraîchissement de la déco qui va coïncider aussi avec l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire du bateau.
En parallèle, en octobre, on vient d’ouvrir (avant de devoir le refermer, à cause du covid) un tout nouveau lieu, juste à côté du bateau : Blonde Venus, un ancien bal monté entièrement réhabilité en un véritable petit cabaret-guinguette pour l’été, avec une scène et une programmation familiale très décalée, entre concerts assis, ateliers, ciné-club, lectures, marchés, et pas mal de surprises. »
N : Quelle est votre couleur musicale, la ligne artistique que vous suivez et que vous défendez ?
BG : « L’IBoat est un terrain de jeu extraordinaire et nous ne nous imposons que peu de barrières, aussi bien en programmation, ou qu’à propos des lieux que nous investissons. Seules l’expérience, l’exigence et la pertinence des projets proposés nous importent. Du coup, depuis presque une décennie, nous programmons près de 700 artistes par an, et nous avons investi des endroits assez singuliers comme la cathédrale Pey-Berland, la Base Sous Marine, la Patinoire, les Quais ou encore les jardins de l’Hôtel de Ville.
Sur scène, on peut retrouver un groupe de pop indé en vogue comme un pionnier du hip-hop US, un groupe de post-punk des plus obscurs comme un talent folk local. Idem en club, de grands noms de la scène électronique croisent des producteurs et DJs en pleine ascension. C’est un lieu et un programme très stimulant, aussi bien pour les artistes que pour le public. »
N : Quel a été le dernier concert programmé qui vous a particulièrement marqué ?
BG : « Il y en a beaucoup, mais nous en citerons un récent : la venue du maître turntablist japonais DJ Krush, monté à bord le 13 mars 2020, soit la veille du premier confinement qui a plongé le bateau dans de longs mois de silence. Le midi, l’annonce du premier ministre nous a contraint à limiter notre jauge à 100 personnes par rassemblement. Le concert était déjà complet, nous étions donc hors jauge autorisée. L’artiste a alors immédiatement accepté notre proposition d’enchainer deux sessions de son live, pour que tout le public puisse assister à la performance. Cela nous a permis de maintenir cette date. Le live était enivrant et nous n’avions pas envie qu’il s’arrête car nous craignons un peu que ce soit pour longtemps le dernier à résonner à bord. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé.
Quelques jours avant, nous faisions aussi venir Arnaud Rebotini pour interpréter la B.O du film 120 Battements par Minute à l’Auditorium de Bordeaux. Le public s’est levé à maintes reprises pour danser debout devant leurs fauteuils, pris dans l’énergie du live. Les responsables de l’Opéra de Bordeaux étaient un peu surpris mais finalement admiratifs du pouvoir exercé par la musique électronique, croisée à l’élégance des instruments classiques. Un vrai moment de grâce. »
N : Et pour la suite, pour 2021, quels sont vos projets, de concerts, de festivals, vos envies voire vos utopies en ligne de mire ?
BG : « Avec ces longs, très longs mois off, nous n’avons de cesse d’imaginer des projets. Le premier est de finaliser la nouvelle version du bateau : deux ponts entièrement redessinés avec la complicité d’une agence d’architectes, qui risque de surprendre les habitués à la réouverture.
Nous avançons également nos projets sur la terre ferme. En plus de Blonde Venus, notre nouveau cabaret-guinguette, nous allons travailler sur de nouvelles infrastructures, à la fois pour la production et la diffusion artistique ; pas impossible que nous continuions à nous exporter hors des Bassins à Flots l’été prochain, par le biais d’évènements dans quelques lieux verdoyants et insolites.
Enfin, nous espérons pouvoir organiser Ahoy, notre festival de début d’été, du 1er au 4 juillet prochain. Il faudra aviser selon les conditions sanitaires et les jauges imposées, pour qu’elles ne contraignent pas trop l’expérience.
Mais surtout, nous espérons retrouver artistes et public au plus vite, et fêter les dix ans de l’IBoat en septembre 2021 dans les meilleures conditions qui soient. »
On l’espère aussi, cela va sans dire.
Aussi, pour entretenir la flamme et cet oriflamme qui sera bientôt – croisons les doigts – hissé tout en haut de ce bateau jamais bateau, Nova Bordeaux et tout l’équipage de l’IBoat vous offrent une flopée de totebags siglés Blonde Venus et des places pour les concerts programmés dès la réouverture des salles. Pour jouer, ça se passe par ici, en suivant ce lien.