Parce qu’une librairie, c’est bien plus qu’un marchand de papier relié et imprimé. Parce qu’une librairie, c’est une part de culture et de vie faite lieu. Parce qu’on ne voit pas pourquoi les livres devraient être considérés comme moins « essentiels » que les ordinateurs – sauf à entériner un paradigme de société qui ferait grincer un Jacques Ellul. Parce qu’une librairie est un formidable vivier d’imaginaires, de nouvelles impressions du monde, dont les visions peuvent éclairer nos angles morts. Parce que les librairies indépendantes, pots de terre contre le pot de fer des plateformes multinationales, méritent d’être défendues, contre vents, marées et autres avatars iniques.
« D’une histoire à l’autre » : c’est le credo affiché sur la blanche devanture du Passeur ; six mots qui expriment joliment l’activité de la petite échoppe de la rive droite bordelaise, son sacerdoce en forme de saute-mouton, ludique autant qu’infatigable. Une résolution généreuse, fureteuse, que mêmes les bouleversements actuels n’ont pas réussi à perturber, au contraire. Né au coeur du quartier Bastide un jour de fin du monde (mais oui, le fameux 21 décembre 2012 !), Le Passeur a été repris cet automne par Cécile Odorico, jeune libraire qui, après quatre ans comme employée, perpétue aujourd’hui en tant que gérante le rôle de pourvoyeur de bonnes lectures initié par ses deux fondateur.rice.s, Ingrid Lafon et Martin Peix.
Un enthousiasme de chaque instant que l’on retrouve dans sa sélection, entre une collection de vignettes amicales, un roman initiatique aussi impressionnant qu’implacable et une BD plongeant dans une Renaissance genderfluid.
- Betty, de Tiffany McDaniel (éd. Gallmeister, 2020)
Si Betty est bien le diminutif d’Elisabeth, ne croyez pas pour autant que l’héroïne de ce roman éponyme, cette métisse cherokee qui apprend à « affronter le couteau » et à devenir adulte malgré les vicissitudes élevées au carré de son existence, soit à considérer d’un oeil amusé. Loin de là.
Entre secrets, dénis et démons, saignés de quelques évasions littéraires enterrées dans des bocaux, cet ouvrage largement biographique (l’histoire de la mère de l’autrice), que Tiffany McDaniel a d’ailleurs voulu « comme un poème, comme une danse, comme un éclat de lune dédié à sa mère Betty », a tout du livre marquant, remuant, imposant. D’aucun.e.s se demandent même s’il n’a pas l’étoffe d’un futur classique de la littérature américaine.
Cécile Odorico : « Betty est sans conteste l’un de ces romans inoubliables, et profondément humain qui nous emportent dès les premières pages, sans ne plus vouloir le refermer ! Cette jeune fille cherokee nous conte son histoire, celle d’une enfant qui va devenir femme dans un monde masculin parfois cruel. Une héroïne universelle à laquelle on s’attache et que l’on ne veut plus quitter ! Cette lecture procure un tourbillon d’émotions, parfois sombre, révoltant, il n’en demeure pas moins magnifique et bouleversant ! Un chef d’oeuvre ! »
- Peau d’homme, d’Hubert et Zanzim (éd. Glénat, 2020)
Naître femme, mais ne pas le devenir. Au Cinquecento, c’est le credo farouche et féministe de Bianca, personnage principal de cette BD signée à quatre mains. Un conte d’apprentissage dessiné dans un style ligne claire, qui se frotte au fantastique pour mieux déployer un propos émancipatoire, à l’intersection des luttes, des genres et des aspirations communes à la liberté.
Cécile Odorico : « N’avons-nous pas tous rêvé un jour de pouvoir revêtir la peau du sexe opposé pour une journée ? Bianca, notre héroïne, va en avoir l’opportunité lorsque, suite à ses fiançailles avec un homme qu’elle ne connait pas, sa marraine lui dévoile un secret de famille. Elle possède une peau d’homme lui permettant de se transformer au gré de ses envies et de partir à la rencontre de son futur époux. Cette histoire d’amour passionnelle et sensuelle n’en est pas moins un conte résolument moderne qui interroge sur l’égalité des sexes et la liberté ! Coup de maître pour l’immense et regretté Hubert (NDLA : disparu en février 2020) qui signe une BD exceptionnelle !
- Amitié, tout ce qui nous lie, d’Heike Faller et Valerio Vidali (éd. Seuil/Éditions du Sous-Sol, 2020)
Parce que c’était lui (ou elle), parce que c’était moi. L’amitié a eu ses lettres de noblesse dans les parages, grâce à Montaigne tout à sa bromance avec La Boétie. Mais pourquoi s’arrêter à cette référence ? Car ce lien d’affection d’une force insoupçonnée mérite ses éloges et ses fouilles poétiques, ce que fait ce petit livre germano-italien, un ouvrage d’illustration simple mais pas simplet, amicalement vôtre.
Cécile Odorico : « Après le magnifique album 100 ans, tout ce que tu apprendras dans la vie, ces deux auteurs et illustrateurs reviennent avec un sublime livre illustré autour de l’amitié. Empreint de poésie, teinté de couleurs et de chaleurs, ce très bel ouvrage rend hommage aux amitiés d’un instant, d’une vie, celles qui se sont achevées, celles qui ont perduré malgré la distance et les années, celles qui nous rendent plus fort … Un concentré d’amour et de vie, une vraie merveille ! »
Et parmi ce podium, afin de satisfaire plus encore vos soifs de lecteur.rice.s, Le Passeur nous fait l’amitié de vous offrir un exemplaire de Betty, en « clique et rapplique » (ou click and collect, en angliche) directement à la librairie. Rien ne va plus ? Faites vos jeux, juste ci-dessous.
Le Passeur, 9 avenue Thiers, à Bordeaux. 05 56 32 83 37. www.librairie-lepasseur.fr