Le duo français a sorti l’un des albums garage les plus excitants de l’année. Il nous en parle.
Avec Shadow People, Monsieur et Madame Limiñana (ils forment ensemble le duo The Limiñanas) ont sorti l’un des albums garage les plus impressionnants de l’année. Avec Bertrand Belin, Anton Newcombe (The Brian Jonestown Massacre) ou encore Emmanuelle Seigner, ils prouvent que le genre peut aussi parfaitement fonctionner en France, et racontent, sur ce nouvel album, le parcours d’un adolescent qui s’en sort exclusivement grâce à la musique rock. Avant un passage dans le Nova Club, et en marge de la sortie de leur compilation I’ve got trouble in my mind vol. 2, ils sont venus nous voir au web, chez Nova.
Dès que je lis quelque chose sur les Limiñanas, je lis que vous êtes originaires de Perpignan… C’est important ça ?
Lionel Limiñana : Pas pour nous non… Enfin, on aime beaucoup notre région, mais on n’est pas spécialement des militants de quoi que ce soit. On est nés là-bas, on est fans de la Méditerranée… Mais mentionner le fait qu’on vienne de Perpignan, c’est un peu comme le fait de parler de « yéyés » dès qu’on parle des Limiñanas… Ça nous colle à la peau, mais on ne sait pas tellement pourquoi ! Ça vient peut-être des Américains ça. Pour des gens comme ceux de Trouble in my Mind, à Chicago, quand ils parlent de yéyés français, c’est plus proche du travail qu’a pu faire JB avec les compiles Born Bad que de Sylvie Vartan, par exemple (avec tout le respect que je peux avoir pour Sylvie Vartan).
C’est vrai que, nous, on a toujours été fans de cette scène un peu barrée française des sixties (Jacques Dutronc, Ronnie Bird etc.) Dans la musique française disons que c’est une de nos bases. Avec évidement Gainsbourg et tous ces gens-là. Après, ce qu’on écoute depuis toujours, c’est aussi le punk américain, le garage sixties, toute cette musique américaine obscure des années 60. Et puis évidemment MC5, The Stooges, Suicide, tous ces groupes-là… Mais aussi toute la musique black des années 60… On a une collection de disques dans laquelle ça va de John Coltrane à Motörhead.
Le garage, c’était la musique qu’on écoutait le plus au monde !
Avant The Limiñanas, vous aviez d’autres groupes ?
Lionel Limiñana : La musique j’ai commencé à 16 ans, j’en ai 46 aujourd’hui… Mais on n’a jamais cherché à percer. C’était pas du tout l’objectif. On a toujours monté des groupes pour faire des concerts et sortir des disques. Tous les deux avec Marie, ou séparément. C’est le cas depuis le lycée. On vient de la scène garage punk, et cette scène n’intéressait que peu de gens lorsqu’on a commencé. Que des garage-men que tu pouvais trouver un peu partout dans le monde, mais qui constituaient tout de même un public assez restreint. Notre musique n’intéressait pas grand monde, mais nous, c’était la musique qu’on aimait le plus au monde ! Puis très curieusement, cette musique-là, comme la musique psychédélique, est redevenue plus populaire récemment… Mais tu sais moi-même à l’époque à Perpignan, lorsque j’avais ma boutique de disques – la boutique s’appelait Vinyle Maniac – les White Stripes, à l’époque, on en vendait cinq par an…
Avant les Limiñanas, Lionel, tu étais donc disquaire indé ?
Lionel Limiñana : Oui, la plupart du temps, j’étais disquaire. Et quand je ne pouvais pas l’être, j’avais des boulots alimentaires. J’ai monté deux boutiques de disques, à Perpignan… Quand j’ai dû fermer les boutiques – j’ai monté une boutique d’imports ultra-pointue avec 80% de références vinyles à une époque où le vinyle ne se vendait plus du tout… – j’ai chopé tous les jobs que j’ai trouvé, et j’ai fini par travailler de nouveau dans le disque à la Fnac.
C’était une période financièrement catastrophique mais humainement très riche !
Il y a un petit côté Vernon Subutex dans ton histoire, sans la fin catastrophique…
Lionel Limiñana : Oui c’est très vrai ! À un moment, quand ça ne marche plus du tout et que tu t’endettes, ça ne sert plus à rien d’insister… Après j’ai continué à organiser des concerts. On avait des groupes dans lesquels on jouait, on en faisait venir d’autres, et par le réseau des bookeurs de l’époque, on bookait un tas de groupes.
Pourquoi, selon toi, les Limiñanas ont-ils marché là où d’autres ne l’ont pas fait ?
Lionel Limiñana : Je crois que c’est à cause d’internet. À l’époque, quand tu voulais trouver une date, tu envoyais une cassette par La Poste au club ou au programmateur… Aujourd’hui, tu envoies un wetransfer à une adresse mail. Les choses ont changé. Les Limiñanas, c’est clairement la période de notre vie de musiciens la plus cool et la plus facile. La musique, on en vit, mais pas depuis très longtemps. Ça n’a jamais été le but ceci dit. À l’époque, on faisait faire nos disques en Tchécoslovaquie. On en a attendu certains pendant des mois… On envoyait des faxes en Anglais à des Tchécoslovaques qui ne parlaient que Tchèque, et je peux te dire que c’était très compliqué… Et après fallait aller chercher les cartons à la douane à Toulouse… Les mecs te demandaient « mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Donc oui bien sûr c’est plus facile aujourd’hui.
Les rappeurs sont devenus les rock star des années 2010. Et les rockeurs sont, par la force des choses, quasiment revenus en marge…
Lionel Limiñana : Très sincèrement, je suis complètement lourdé de l’actualité de cette musique-là. J’imagine qu’il s’y passe des choses vraiment intéressantes, mais en ce qui concerne la grosse cavalerie, ce que j’ai vu aux festivals où on était programmés, c’était plutôt lamentable, dans le sens où 80% des groupes que j’ai vu étaient en play back, et les mecs étaient plus là pour vendre des tee-shirts que pour faire de la musique… C’était pas très passionnant. Mais évidemment, ça ne correspond pas à la réalité… Mais je ne peux pas trop t’en parler parce que je ne connais pas cette scène-là. Le rap que j’aime c’est celui que mon frangin écoutait au milieu des 1 000 trucs qu’il écoutait quand il était gamin, celui de Public Enemy, de Run-Dmc, ces choses-là. Je connais très mal ces morceaux mais je les respecte, bien entendu.
Le rock est redevenu underground
Vous avez commencé à percer dans le rock au moment où le rockeur quittait le devant de la scène pour se retrouver en marge… La lumière, c’est pas tellement pour vous ?
Lionel Limiñana : Paradoxalement, cette situation-là nous sert sûrement. Les grosses maisons de disques signent de moins en moins de groupes de rock, et dieu sait pourtant qu’il y en a en Europe, mais c’est vrai qu’ils sont un peu plus timides qu’à une époque. J’imagine que l’on tire plus facilement notre épingle du jeu. Cet été, et c’est vraiment étonnant, on s’est aperçu plusieurs fois dans les festivals assez importants auxquels on participait que si on pétait une grosse caisse ou une caisse claire acoustique il n’y avait aucun groupe qui pourrait nous dépanner… Ce n’est pas que cette musique est moribonde, au contraire, c’est juste qu’elle est revenue vers l’underground. Le rock, les gens l’écoutent, mais ce n’est pas ce que les gros labels et les médias valorisent aujourd’hui. Mais franchement cette année on a tourné tout le temps, il y a de plus en plus de monde dans les salles, le rock ne se porte pas si mal ! Mais c’est vrai que les nouveaux noms ne sont pas encore arrivés dans la lumière.
Vous travaillez pas mal avec des gens que vous connaissez d’après ce que j’ai pu comprendre. Pascal Comelade, on le sait, a été notamment assez important dans votre parcours, et est l’un de vos proches…
Lionel Limiñana : Oui bien sûr, Pascal est un de nos grands amis. La rencontre avec Pascal a été décisive pour nous. Et elle l’a été à tous les niveaux. Grâce à lui, j’ai compris qu’on pouvait produire un disque tous les deux dans notre garage et comme on veut juste en le regardant travailler, parce que lui ça fait longtemps qu’il imagine ses albums et qu’il les monte en invitant des gens. On s’est inspirés de Pascal là-dessus. Sur sa manière d’envisager le business, aussi. Si on a rencontré Because Music, c’est également grâce à Pascal, lorsqu’on a travaillé avec lui sur l’album Traité de guitarres triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées). Je pense que sans l’aide de Pascal il ne se serait pas passé grand-chose de plus, en fait.
Vous êtes en home studio ?
Lionel Limiñana : On enregistre chez nous oui, dans notre garage. On joue beaucoup, on enregistre à peu près tout le temps. On saute pas mal d’étapes de la production classique (la composition, l’écriture, la répétition avec des gens, l’enregistrement). Nous on prend tout à l’envers. On travaille d’abord sur des rifs, on bosse comme des musiciens électroniques, sauf que chez nous tout est joué. C’est-à-dire qu’on travaille d’abord en studio sur des boucles (sauf qu’elles sont jouées) et à partir de ce travail-là, on monte l’album, on écrit les textes. Et en gros ce qui devrait être les démos devient l’album. On ne passe pas à l’étape supérieure qui consisterait à se retrouver dans un gros studio, et recommencer le boulot.
Le home studio de l’extérieur, on se dit : c’est super, ça permet aux musiciens de bosser quand ils veulent. Mais mine de rien, quand tu loues un studio, au moins tu as des limites. Avec le home studio, je suppose que ces limites, elles sont plus compliquées à dresser, surtout si, comme tu le disais, vous composez tout le temps…
Lionel Limiñana : Alors là tu soulèves effectivement un problème fatal : il faut arriver à terminer les choses… Là la chance, c’est qu’on a une maison de disques. Et que cette maison de disques, elle va nous demander un master à une date x. Même si celle-ci est souple, on a forcément des délais à respecter. Et avec Marie, on est tous les deux très complémentaires là-dessus. À un moment donné, elle va me dire que c’est terminé. Je suis du genre à douter tout le temps. Par contre on refait peu les choses. C’est souvent les premiers jets que l’on garde, et même s’il y a des accidents. Sur l’album avec Pascal Comelade par exemple, on entend notre machine à laver quasiment tout le temps… On l’a même crédité je crois. À un moment on l’entendait tellement que j’ai fini par mettre un micro directement dans la machine à laver, pour lui faire faire un solo…
Vous écrivez les textes que chantent les autres pour vous ?
Lionel Limiñana : Oui, la plupart. Mon frangin, Serge, en écrit aussi, et je pioche parfois dedans, mais j’écris quasiment tous les textes. On ne chante jamais sur scène mais on chante quelques-uns sur disques, et d’abord pour des questions purement techniques. Pour le reste c’est vrai qu’on fait chanter d’autres gens que nous. C’est un métier, comme on dit !
Sur « Dimanche » , l’un des gros titres de Shadow People, vous chantez par exemple avec le Français Bertrand Belin…
Lionel Limiñana : Oui. On est partis en Australie pour une tournée il y a deux ans, à Melbourne. On a croisé Bertrand Belin à ce moment-là, on allait au même endroit et quelques galères d’avion nous ont permis de nous rapprocher… Après un premier vol annulé à Paris, on s’est retrouvés à l’hôtel, on a bu des coups avec Bertrand Belin et son équipe. On a pu ensuite prendre notre avions, mais à Tokyo où on faisait une escale, l’avion a de nouveau été annulé… On a re-bu des coups. En arrivant à Melbourne, on commençait, forcément, à être bien copains… En le voyant en concert, j’ai complètement flashé sur ses textes. J’ai adoré sa manière de raconter des histoires. On était obligés de bosser ensemble par la suite…
Et la narration, chez vous, on sait que c’est important. Shadow People, par exemple et si j’ai bien compris, raconte le parcours d’un adolescent qui finit par se trouver grâce au rock et à la musique…
Lionel Limiñana : Oui, c’est ça, on essaye de les structurer comme une vraie histoire. Le gamin essaye de s’affirmer vis-à-vis des bandes de l’époque. Nous quand on était mômes, dans la cour du lycée, il y avait beaucoup de mods, des punks, des skins, des hard-rockers, et nous on a baigné là-dedans pendant des années. Souvent, je t’avoue que cette scénarisation de nos albums, elle n’est compréhensible que par nous et nos potes… En terme de structure par exemple, on colle toujours un générique de début et un générique de fin dans nos albums.
C’est rare de voir un groupe qui parle d’album scénarisé alors qu’il produit de la musique garage. Serge Gainsbourg qui parle d’album-concept pour L’homme à la tête de chou ou L’histoire de Melody Nelson, c’est évident puisqu’on peut suivre la narration grâce aux paroles, mais pour vous c’est un peu différent…
Lionel Limiñana : Tu tapes dans le mille avec cette référence-là. Melody Nelson, j’ai écouté ce disque jusqu’à m’en faire péter le cerveau… On n’osera bien évidemment jamais comparer ce qu’on fait à ces albums-là, mais par contre c’est vrai que le but était de se rapprocher de cette idée-là, ou des disques que l’on écoutait dans notre enfance, comme Pierre et le Loup par exemple. On a baigné là-dedans quand on était gosses. Même encore aujourd’hui, je m’endors souvent en écoutant la radio, comme si j’avais encore besoin qu’on me raconte une histoire avant de dormir…
On le disait tout à l’heure, vous composez beaucoup, aussi parce que vous avez la possibilité de le faire depuis chez vous. Comment avez-vous sélectionné les morceaux qui figurent sur cette compilation que vous venez de sortir I’ve got trouble in my mind, vol.2 ?
Lionel Limiñana : À l’heure d’aujourd’hui, je pense qu’on a désormais sorti tout ce qu’on jugeait sortable ! Les disques, on les prend comme les concerts, c’est-à-dire qu’on les fait d’abord pour nous. Cette dernière compil, on l’a fait dans le tourbus cet été, à partir de plein de disques durs qui trainaient ça et là… Il y avait à la fois des titres hyper produits et qu’on n’avait pas pu utiliser sur Shadow People et des trucs plus anciens, qu’on avait bidouillé tous les deux avec Marie à la maison.
Shadow People, c’est un disque qui a été fait sur une longue période pour le coup ?
Lionel Limiñana : Ce disque-là a été fait assez rapidement, finalement. Il a été composé en plein été, avec la lumière et la chaleur de chez nous, à Perpignan, et finalisé chez Anton Combes, à Berlin, dans un studio assez froid et avec peu de lumière…
Les Limiñanas, vous l’avez compris, sont une grande famille. La preuve : ils fêtent Noël comme tout le monde. Et le formulent même en mix.
Visuel : (c) Because Music