Au menu ciné aujourd’hui, une série B exhumée des 80’s qui avait les crocs.
À voir les sorties en salles cette semaine, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Une bestiole sacrément affamée va cependant sauver cette chronique tout en ramenant à une période de cinéma américain plus folle qu’on le pense. Il faut se souvenir des années 80 comme un nouvel âge d’or pour les séries B quand cette décennie aura aligné les films aux pitchs les plus saugrenus, exploitant les moindres tendances sociétales ou faits divers. Ainsi L’Incroyable alligator s’est inspiré d’une mode éphémère qui transforma les animaux exotiques en domestiques, voyant débarquer dans des foyers urbains des araignées, serpents et autres bébés crocodiles. La plupart finissant balancés vivants aux toilettes, une fois que les marmots ne les trouvaient plus si mignons que ça. Il en naquit une légende urbaine selon laquelle, un alligator aurait survécu dans les égouts de New York, pour y grandir et commencer à boulotter les chiens errants puis les humains. De quoi faire les affaires de producteurs mercantiles qui y virent de quoi renouveler la vague de sous- Dents de la mer qui écumait les écrans. Mais aussi de quoi redonner du travail à des gens formés par Roger Corman. Parmi eux, un certain John Sayles, réalisateur qui finançait ses propres films d’auteur en pondant des scénarios pour le pape de la série B cheap, mais ultra-rentable. Après avoir rédigé celui de Piranha, un des meilleurs ersatzs en carton du film de Spielberg, le voilà engagé pour peaufiner celui de L’incroyable alligator.
Donc un scénariste qui avait les crocs, mais est-ce que cela suffisait à rendre cet Alligator appétissant ?
Assurément quand grâce au travail de Sayles, ce film se nourrit, plus que des festins du reptile, de piques envers les instititutions de la police aux journalistes pour devenir une satire mordante de l’american way of life sous Jimmy Carter, renforcée par des personnages joués au premier degré. Il s’est souvent dit que ce ton novateur de divertissement bon enfant essayant de commenter les travers de son époque a été une des influences de Quentin Tarantino pour écrire certains rôles de Jackie Brown, dont celui de Max Cherry, ancien flic fatigué de la vie, qu’il confiera à Robert Forster, justement interprète principal de L’incroyable Alligator. Pour sa composition chez Tarantino, l’acteur récoltera une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle. À revoir cette série B bien torchée, qui réapparait – accompagnée de sa suite, plus nanardesque – aujourd’hui en Blu-ray, il est évident que jamais elle n’aurait décroché un tel honneur, mais aussi que ce film-là, certes fauché dans ses effets, mais riche de son sous-texte brocardant sa conscience d’être un pur produit commercial, valait bien mieux, par son honnêteté ou son auto-ironie, que la majorité des blockbusters actuels, dévorés, eux, par une inconsistance scénaristique ou un certain cynisme.
L’incroyable Alligator/ Alligator 2 : La mutation. (Carlotta Films)