Sur Instagram, la jeune styliste française d’origine algérienne se réapproprie la figure de la « beurette » pour retourner le stigmate et décharger le terme de son contenu dégradant.
Cette semaine dans Néo Géo, Camille Diao fait le portrait de Lisa Bouteldja, « beurette » militante. Sur Instagram, la jeune styliste française d’origine algérienne se réapproprie la figure de la « beurette » pour retourner le stigmate et décharger le terme de son contenu dégradant. Ses images délicieusement vulgaires mettent en scène une « femme arabe » libre et puissante, toujours avec beaucoup d’humour.
« La beurette est au plus bas de l’échelle sociale : elle est à la fois inférieure à l’homme car elle est une femme, inférieure à la femme blanche car elle est d’origine maghrébine, et inférieure par sa classe car elle est – d’après le cliché – issue de la classe populaire ».
« Beurette ». Le terme est né dans les années 80 afin de désigner une jeune femme née en France de parents maghrébins. Mais si son équivalent masculin, « beur », figure de l’arabe « intégré mais pas vraiment français » est déjà problématique en soi, le mot « beurette », lui, prend vite une connotation péjorative, voire injurieuse. La beurette, c’est, au choix, l’une des catégories porno les plus prisées des Français, ou une bimbo vulgaire et écervelée incarnée par des personnalités comme Zahia ou Nabilla.
Et pourtant, certaines le revendiquent fièrement, ce terme si problématique. Algérienne par son père, Française par sa mère, Lisa Bouteldja est née un 5 juillet, jour de l’indépendance de l’Algérie, quelque part dans les Vosges. C’est là qu’elle grandit, composant parfois difficilement entre ses deux cultures, ses deux identités. Son bac en poche, elle part étudier la mode dans une grande école londonienne et commence à y construire son personnage…
Car depuis deux ans, Lisa Bouteldja inonde Instagram de clichés provocateurs où elle se met en scène comme la beurette ultime : une femme vulgaire, très sexualisée, portant diams en toc et maillots de l’Algérie, chech sur la tête et fausse casquette Gucci, traînant à la chicha ou sur les boites des Champs-Élysées. Chaque cliché est accompagné d’une punchline bien sentie : « Bouchra la bouchère recherche son halal » lorsqu’elle fait ses courses, « Dessine moi un mouton, mardi c’est l’aïd » ou encore « Shéhérazade et les mille et une falsh » dans une boutique de contrefaçon.
Beaucoup d’humour et d’autodérision chez la jeune femme de 22 ans, qui s’empare ainsi de l’injure « beurette » et de toutes les représentations qu’elle véhicule, afin de renverser le stigmate. Avec ses photos, Lisa Bouteldja entend créer une « beurettocratie » : une armée de femmes arabes libres et indépendantes, dont elle serait la présidente.
Pour Lisa Bouteldja, Instagram est actuellement le médium le plus efficace pour faire passer son message, mais elle se considère avant tout comme une artiste. Et si ses clichés peuvent paraître futiles, sa démarche est éminemment politique : elle revendique son droit à une identité plurielle dans une France assimilationniste ; et son personnage de beurette cristallise tout ce qui angoisse notre pays : l’islam, la colonisation, le racisme, le sexisme, l’orientalisme…
« Ces photos sont un doigt d’honneur à tous ceux qui m’ont traitée de sale bougnoule », a-t-elle déclaré. « Et mon ambition est sans limites ». D’ailleurs, en juin dernier, son travail a été remarqué par le prestigieux magazine de mode Vogues US. Comme elle le dit elle-même : le beur et l’argent du beur…
Pour la suivre donc, RDV sur Instagram sur le compte @lisabouteldja !
Visuels : (c) Lisa Bouteldja