Alerte ! Perché dans les Landes, cet écrivain-voyageur, qui traversa l’Europe de l’Est à pied ou en kayak, règle nos antennes sur un avenir beaucoup plus connecté à la nature, où les amendes seraient payées « avec des cacahuètes ».
« Je crois en l’esprit de la montagne. Je ne parle pas d’un fantôme muni d’un piolet ou d’un génie qui apparaîtrait en frottant sur un caillou. J’imagine plutôt un champ de force, d’émotions, généré par les grains de conscience que nous projetons à la surface du monde ; sorte de nappe pensante semblable à ce que [le prêtre, philosophe et paléontologue français] Teilhard de Chardin appelait la Noosphère. Ça peut paraître étrange, mais je crois que ce qui émerge en nous ne meurt jamais vraiment. Des traces invisibles de ce que nous avons partagé existent quelque part lorsque nous n’existons plus. Nos pensées nous transcendent, s’accumulent au-dessus des villes, des forêts, des océans, des montagnes, propageant au-delà des interprétations ce supplément insaisissable qui nous parvient lorsque nous évoquons l’atmosphère d’un lieu. »
En 2013, pendant quatre mois, Lodewijk Allaert et sa compagne Kristel ont parcouru à pattes l’arc des Carpates : deux mille kilomètres de montagnes, de la Slovaquie à la Roumanie. C’est l’épique itinéraire d’un sympathique ouvrage, Carpates, la traversée de l’Europe sauvage, paru aux éditions Transboréal en 2019, qui vient de recevoir le grand prix du festival des « Rendez-vous de l’aventure » de Lons-le-Saunier (Jura). Dédié « aux montagnards minuscules, sans élan de conquête, humbles et émerveillés », le récit de sa balade à l’Est collectionne les sensations : d’abord, son périple s’effectue souvent sous une pluie battante, mais peut aussi, comme en Pologne, lui offrir le vertige de la déshydratation. Il s’y sent également « insignifiant » sous « d’immenses auges glaciaires », plus tard « hypnotisé » par un moissonneur ukrainien aux yeux d’acier ou terrorisé par des molosses roumains (« La confrontation avec les chiens devient une hantise, au point que même les moutons commencent à me faire peur. »)
Heureusement, le sombre seigneur sanguinaire des Carpates, Dracula, ne s’en mêla pas ; passant en coup de vent au village de Bran pour visiter la forteresse de Vlad l’empaleur, qui inspira son vampire à Bram Stoker, Lodewijk Allaert en décrit l’intérieur comme un « manoir mignonnet » rempli d’instruments de torture ajoutés « pour l’occasion », dans cette demeure où le prince sulfureux et « pas si cruel » du XVe siècle roumain n’a, en fait, « jamais séjourné ».
Né en 1980 à Dunkerque, cet écrivain-voyageur avait, toujours avec sa compagne, déjà rallié Budapest à Istanbul en kayak, en 110 jours (une histoire coule contée dans Rivages de l’Est, 2012), avant d’aller surfer au Mexique (L’instinct de la glisse, 2011), parmi d’autres tribulations internationales.
Nous appelant ce printemps depuis le village de Linxe (dans les Landes, où paraît-il chacun des 1490 habitants possède une excellente vue), Lodewijk Allaert règle nos antennes sur un avenir beaucoup plus connecté à la nature. Pour L’Arche de Nova, celui qui dans Carpates confie qu’il lui arrive de « partager des utopies bruyantes dans des volutes de fumée épicée » rêve de payer ses amendes avec « des cacahuètes », de battles de (vrais) noms d’oiseaux ou de courses de lenteur récompensée « en escargots ».
Réalisation : Mathieu Boudon.
Image : Et au milieu coule une rivière, de Robert Redford (1992).