Cette scénariste et romancière française suggère de « mettre à l’épreuve, dès sa nomination, chaque ministre », en les forçant à connaître de plein fouet les conditions d’existence de leurs administrés. Franck, es-tu prêt ?
« La nécropole d’Hollywood déborde de demi-dieux ensevelis pour l’éternité. Nulle justice ne régule le flux, nulle morale, nulle loi. » Dans leur bande dessinée Black-out, à paraître fin août aux éditions Futuropolis, Loo Hui Phang (scénario) et Hugues Micol (dessins) reviennent sur le destin imaginaire de Maximus Ohanzee Wildhorse, comédien américain de l’âge d’or hollywoodien « qui ouvrit la voie aux stars « de couleur » dans un climat ségrégationniste », précédant Sidney Poitier, Yul Brynner ou Harry Belafonte, mais dont le visage semble avoir été tragiquement effacé des films – et quels films : Boulevard du crépuscule, Le Faucon maltais, La Flèche brisée, Vertigo… – dans lesquels son charisme et son métissage (d’origine comanche, chinoise, mexicaine, africaine) lui assurait l’accès à n’importe quel rôle dans « l’éventail des archétypes exotiques » du cinéma. « Il arrive parfois qu’un impudent s’échappe de l’engrenage pour voler le feu, défier la mécanique des sommets. » Il en paiera le prix.
« Pourquoi choisir un professionnel de l’automobile pour gérer le ministère de la culture ? », se demande aujourd’hui Loo Hui Phang. Erreur de casting au sommet de l’Etat ? Depuis Bruxelles, capitale de « ce pays sans gouvernement » où elle vit et travaille sur de futurs scénarios, cette autrice française tricote pour Nova une utopie démocratique fort enthousiasmante : histoire de muscler « la dimension purement théorique de l’exercice du pouvoir », elle suggère de « mettre à l’épreuve, dès sa nomination, chaque nouveau ministre » en le/la forçant à connaître douze mois durant les conditions d’existence de ses administré.e.s. Et cela « à la place la plus défavorisée », avant de prendre la moindre décision.
Le ministre de la culture vivra donc dans la peau d’un artiste non-intermittent (donc : sans statut, sans chômage), à charge pour lui d’améliorer son sort et ses droits via de nouvelles réformes ; s’il réussit, il récolte la vie habituelle d’un ministre tandis que tous les artistes bénéficient de ses avancées politiques ; s’il échoue, l’année de galère est reconduite. Idem pour le ministre des armées, qui part au front ; le ministre de l’éducation retourne au collège en tant que prof, en banlieue ; le ministre de la santé, lui, devient aide-soignant.e « avec les mêmes risques ». Et le Président ? Pas d’inquiétude : Loo lui réserve le premier rôle.
Pour écouter Loo Hui Phang évoquer ses identités multiples au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est ici.
Visuel © Un Prince à New York, de John Landis (1988).