La chronique de Jean Rouzaud.
Au-delà de Blade Runner est le sous-titre qu’a choisi Mike Davis pour son livre Los Angeles ou l’imagination du désastre, aux Éditions Allia. Un activiste politique qui enquête depuis des décennies sur le pouvoir et les classes sociales pauvres en Californie.
Il y a deux façons d’imaginer le futur : moderne et ordonné (même trop) ou, au contraire, une jungle post-apocalyptique comme dans le film de Ridley Scott, Blade Runner, tiré de Philip K. Dick, l’auteur le plus inspiré du futur…
Los Angeles, exemple parfait pour désastre annoncé ?
Mike Davis, également sociologue et historien, a choisi de nous prévenir de ce que les mesures sécuritaires et la militarisation de la société américaine nous préparent, en s’appuyant sur Los Angeles, modèle de la cité géante, productrice de rêve cinématographique, et en danger géographique et social.
L’exemple parfait pour un désastre annoncé. On peut ne pas être d’accord avec ce mouvement dit de « géographie radicale », qui renaît depuis 2000, avec d’autres militants, comme l’Anglais David Harvey ou Wendy Brown, enseignante à Berkeley.
L’enjeu ? Faire comprendre au pouvoir et aux gens, le « droit à la ville », une possibilité de vie dans un cadre démocratique qui doit devenir le centre de toute politique urbaine. Trop beau pour être tenté ? (d’autant plus que cela s’oppose aux spéculations immobilières et à la gestion rentable des zones urbaines à récupérer ou à ghettoïser).
Au milieu de facteurs comme l’origine, le revenu, la valeur foncière, Mike Davis fait entrer un élément social nouveau : la peur…
Il se réfère à des études sur une écologie humaine, animée par des forces « biologiques », comme la concentration, la ségrégation, la centralisation, la succession… Qui transforment nos cités.
Pour enfoncer le clou, l’auteur rajoute les excès d’autorité du LAPD (Los Angeles Police Department), mais aussi des guerres : mafia latino (EME) contre gang des Crips et d’autres factions comme les groupes skinheads se livrant à des lynchages contre Noirs, Latins et Indiens…
Le futur, un film d’horreur ?
L’auteur attaque par tous les bouts, dont l’histoire : Los Angeles a toujours été un repaire de marginaux fauchés et d’escrocs en chasse… Les quartiers pour touristes maquillés en parcs d’attraction bidons… le nuage de fumée des premières, oscars et autres cultes dirigés par les studios, la marginalisation de quartiers, sans connexion, même virtuelle…
Il évoque des « anomalies thermiques », dues aux activités humaines ?
Il connaît tout de cette ville folle, détaille les moindres lieux, les bidonvilles, les prisons, les ethnies, les territoires (même ceux de Disney ou Universal), les fantasmes sécuritaires des autorités.
Ce faisant, Mike Davis est contaminé par le malheur américain : paranoïa et sécurité, hypocrisie et loi du plus riche, et nous offre un immense show apocalyptique, dans la grande tradition du film d’horreur.
Los Angeles et l’imagination du désastre. Au delà de Blade Runner. Par Mike Davis. Éditions Allia. Illustrée. 160 pages. 7 euros.
Visuel (c) Blade Runner 2049 / I:Robot