La chronique de Jean Rouzaud.
J’ai toujours été scotché de voir à quel point ce sont peu de gens qui déterminent les époques et les tendances de sociétés entières. On l’oublie, même si en histoire on ne parle que de la « cour » des rois et des riches, société en miniature, ou pouvait se décider bien des choses.
Comment tout a commencé pour nos générations
Serge Loupien , journaliste à Libé et spécialiste de musique, nous raconte tout ce qu’il a brassé, dès le début si mal connu des années 60 : la France quand elle a basculé (de l’après-guerre aux sixties, direct !)
Les tout premiers pas d’une simple bande de gens, branchés culture, théâtre, ciné club, que l’on va retrouver pendant des décennies et qui ont ouvert la voie à la culture Pop, Underground, Rock, Punk…Dès 60, le Rock électrique suivait la nouvelle vague.
Car, si les années 40 et 50 avaient vu la découverte du Be Bop, du Jazz et de la Folk comme horizons indépassables, la cassure 1960 avec Pop, Rock et Art, sonna le départ d’une charge héroïque et débordante.
Il est presque impossible de comprendre une époque aussi trépidante et explosive, à moins de se pencher en détail (livres, films, photos et témoignages….) sur ce qui est très oublié et souvent déterminant. Les sixties furent violentes, révoltées, utopiques, bagarreuses !
Chaque génération, surtout les engagés, bloque ! Chacun se tient sur son ilot, fouetté par les vagues, sentant sa fin, et s’accrochant à ce qu’il peut sauver ! Chaque période estompe la précédente, mais certaines cassures sont plus violentes, même s’il y eut des passeurs formidables, des lettristes aux situs, des glams aux punks…
Donc cette crevasse qui sépare – en gros – les années 50 des 60, c’est l’avènement d’une génération peuplée par le baby boom. Une bande extraordinaire fut celle de Brigitte Fontaine et Jacques Higelin, puis avec Areski, Belkacem et Pierre Barouh et son label Saravah qui s’est maintenue pendant plus de quatre décennies ! Ils avaient du succès dès les années 60 , et Barouh a – en passant- ramené la Bossa Nova en France…
Un nouveau langage
Poésie ? Les titres des magazines underground français : Virus, le Révolté, la Pythie, L’anti merde, Hopjaldrista, Le crassier, Tripomenal , le Citron, J’éjacule, Parapluie, Ch’ti qui bulle, Crève salope, l’Hygiénique…Et les groupes : Etron fou Leloublan, Heldon, Crium Delirium, Albert et sa fanfare Poliorcétique, Fenomenal Bazar Illimited, Magma, Art Zoid, Ame Son, Crouille Marteau etc. Un nouveau langage.
Découvrez également la bande de Zanzibar, collectif cinéma pur underground, financé par la mystérieuse Sylvina Boissonnas (une sorte de Bizot féminin), avec Philippe Garrel, Nico, Pierre Clémenti, Patrick Deval, Zouzou, Tina Aumont, Kalfon, Frédéric Pardo…Cette mécène financera aussi la librairie de femmes !
Ce livre fleuve de l’underground français note plein d’histoires, comme celle d’Actuel, mensuel français Free Press, père de Radio Nova, impliqué dans les premiers festivals français comme Biot et Amougies et où je suis arrivé début 73, dans un numéro prémonitoire, titré « Underground où vas-tu ? » J’allais, moi aussi, être embarqué dans le navire de la contre-culture, sachant que ça serait agité, vu que j’étais déjà dedans !
Bien sûr, toute cette agitation fébrile, ces créations spontanées furent largement sabrées par une fâcheuse tendance à l’utopie, du genre « tout doit être gratuit » et qui a flingué les festivals en plein air.
Il se passait tant de choses que, même les participants rataient les trois quart des évènements, d’où cette révision indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la culture spontanée et large, dont nous sommes tous encore les enfants.
La France Underground. 1965 1979. Free Jazz et Rock pop. Le temps des utopies. Par Serge Loupien. Éditions Rivage Rouge. 400 pages. 23 euros.
Visuels : (c) Éditions Rivage Rouge / Getty Images / Thierry Orban