Rencontre avec Karriem Riggins, la passerelle entre le jazz et le beatmaking
Si certains estiment l’art du beatmaking comme de la musique pour geek, Karriem Riggins lui redonne ses lettres de noblesse. Les Roots avaient déjà laissée entrouverte une fenêtre sur le jazz, le chemin inverse était moins évident, même si Madlib avait réussi à convaincre le physionomiste de Blue Note de laisser entrer par la grande porte.
Mais c’est vraiment avec Robert Glasper et Karriem Riggins que le jazz s’acoquine joyeusement avec le hip-hop. Riggins, c’est l’homme qui aurait achevé le dernier album du grand J.Dilla ; nous l’avons invité tout balancer sur son deuxième album Alone Together (Stones Throw) pour lequel il effectue une tournée à travers l’Europe.
Qu’est ce qui peut attirer un grand jazzman comme vous à se tourner vers le beatmaking ?
J’ai commencé à faire du beatmaking quand j’ai acquis ma première MPC en 1996, une Mpc 3000. C’est là que j’ai pris conscience qu’avec un simple clavier et ce genre de machine, je pouvais faire des orchestrations. Je pouvais composer avec des samples, scratchs tout en conservant un son « organic ». Mais le beatmaking me permet de travailler sur les syncopes dans le rythme, par exemple ; pour moi, c’est très important. Car finalement le rap n’est qu’histoire de rythmes.
Même le flow d’un MC se doit de travailler cet aspect là car c’est ce qui fait l’originalité d’un morceau. Mon but est de trouver différents beats afin de les rendre surprenants. Et c’est ce que j’aime quand j’écoute DJ Premier, J. Dilla, Just Blaze ou 9th Wonder qui s’attachent à travailler cet autre versant du rythme.
Mais il y a aussi tout le travail sur les effets : j’adore triturer le son de ma batterie, c’est pour moi une évolution naturelle de la musique, une expérimentation essentielle pour faire évoluer les choses.
Malgré le fait que vous soyez un grand jazzman, vous continuez à utiliser des samples. On pourrait penser que vous préféreriez jouer live ?
Je ne me pose pas la question de cette façon… Je mixe souvent les deux mais parfois, essayer de refaire un sample peut s’avérer périlleux, et comme on dit « le moins est le mieux » et le sample reste un élément fondamentale dans le hip-hop.
Le silence lui-même peut être source d’inspiration
En tant que batteur, le beat est-il la première chose que vous essayez de mettre en place ?
Non pas forcément. Cela peut être une ligne de basse, une mélodie, un rythme, un son que fait mon fils, un beat que j’improvise sur mon bureau, mais aussi le silence… Toute chose peut-être une source d’inspiration.
Madlib a été l’un des premiers producteurs et musiciens de hip-hop a signer sur Blue Note, éminent label de jazz ; des jazzmen comme vous et Robert Glasper font du hip-hop… pensez-vous que c’est une nouvelle orientation possible pour le jazz ?
Je ne pense pas, mais il y a surtout une nouvelle génération de musiciens qui embrasse les deux. Les Roots avaient aussi fait un album très jazz, cela m’avait beaucoup marqué à l’époque.
Vous seriez tenté de travailler Blue Note par exemple dans le futur ?
Définitivement ! Que Blue Note s’intéresse au travail de Madlib est très important et j’ai un énorme respect pour ce qu’ils ont pu produire ou ce qu’ils font actuellement. On a déjà évoqué une collaboration, on verra par la suite…
Si la pochette me plait, j’achète
On sait que J. Dilla était un des plus grands collectionneurs de disques au monde, on a d’ailleurs récemment découvert un de ses stocks perdus. Comme votre compère, vous continuez toujours à digger des disques ?
Oui, toujours, j’essaye de trouver le disque le plus obscur, des artistes dont je n’ai jamais entendu parler. Je suis très attentif aux pochettes surtout ; si la pochette me plait, je l’achète. Mais je digge vraiment de tout que ce soit du jazz, du vieux hip-hop, des rééditions mais aussi des sons plus modernes.
Quel est pour vous le batteur le plus hip-hop, celui qui vous a le plus influencé à faire du beatmaking ?
C’est une bonne question, je n’y avais jamais vraiment réfléchi. Mais si je devais citer un nom, Roy Haines (qui officiait pour Thelonious Monk, Sonny Rollins, Stan Getz, Oliver Nelson, Coltrane,…) est essentiel dans ma culture musicale. A 88 ans il joue encore et il était justement sur Paris pour un concert il n’y pas très longtemps. Beaucoup de ses disques ont été samplés aussi, et malgré son âge, il a toujours cette fougue, cette envie d’innover. Il a traversé et côtoyé tellement de styles, il peut encore apporter énormément à la musique en général. Mais je peux tout aussi bien te citer Elvin Jones, Tony Williams, Clyde Stubblefield (un des batteurs de James Brown), Art Blakey… et finalement tellement d’autres.
Vous travaillez en tant que batteur pour Diana Krall par exemple, vous produisez pour d’autres personnes… c’est important pour vous de conserver toutes ces facettes de votre carrière ?
Oui c’est pour moi fondamental, travailler avec tous ces musiciens m’inspire énormément et j’ai besoin de contrebalancer mes prod de hip-hop avec ce que je peux faire avec Diana Krall par exemple. Bien que les deux ne soient pas spécialement proches, c’est un équilibre essentiel.
Vous êtes sur un nouvel album à ce qu’on peut lire un peu partout ?
Je travaille en ce moment les instrumentaux d’un nouvel album où devraient se mélanger des chanteurs (ses) (Erykah Badu selon les derniers gossips) et des rappeurs. Mais je ne peux pas en dire plus malheureusement.
Réécouter son mix pour le Nova Club
Dans les oreilles de Karriem Riggins durant sa tournée
Miles Davis – Nefertiti
Soft Machine – Water Babies
Roy Haines – Tout
Elvin Jones – Merry Go Round