Fondatrice du fanzine « Violences », cette écrivaine de Saint-Étienne cherche un exutoire au sexisme ordinaire, en rêvant du jour où « les trottoirs n’auront plus de dents et les murs plus de langues adipeuses », quand les filles pourront « sortir mollets nus et fouler la ville sans devenir minuscules ».
« J’aurais voulu te découvrir échoué sur le parquet pour sauter à pieds joints sur ton visage, sentir le cartilage céder sous mes talons, les os se démanteler. Défoncer ta gueule et tous tes membres, les amputer pour que plus jamais ils ne puissent toucher. Mais tu n’y étais pas. » Fondé en 2016 par l’écrivaine Luna Baruta, le fanzine Violences, « puzzle du malaise, de ce qui gratte et qui rend mal », rassemble sur 146 pages des fictions énervées, des photos sidérantes, des poèmes chelous, des dessins atrocement réussis, des nausées, des survivalistes, du cyberpunk ou des collages assez marrants, signés par soixante-dix artistes encore méconnus pour évoquer, littéralement, les violences familiales, professionnelles, sociales ou sexistes.
Dans son numéro de janvier, au creux d’une nouvelle intitulée La Purification, Baruta décrit la colère froide d’une femme abusée, au « ventre meurtri », au « sexe forcé », prête à se venger : « Maintenant que je n’étais plus rien j’étais prête. Je n’ai plus de seins, plus de cul, de coiffure. Je n’ai plus de chatte, vous ne pouvez plus forcer. Je suis un monstre invincible. Je. Suis. INVINCIBLE. Je n’hésiterai plus à mordre comme on m’a mordue, à torturer comme j’ai été tordue, à hurler comme on a voulu me faire taire. Je n’hésiterai plus car je suis morte. Un putain de cadavre à qui on a laissé des muscles et des souvenirs (…) C’est terminé. Bouchée de fond en comble je me relève. Atrophiée. Lisse comme un mannequin de silicone. (…) Remontée comme une horloge qui doit rattraper des centaines d’années de vengeance. Libérée de ma mort et déblayant l’avenir. Libérée. Et préparant votre chute. »
Les porcs qui nous dominent feraient mieux de surveiller cette écrivaine de Saint-Étienne, pour plusieurs raisons. D’abord, Luna Baruta, 30 ans, figure parmi le noyau dur du collectif Dans la bouche d’une fille (créé par Astrid Toulon, avec Valérie Thierry, Enissa Bergevin et Louise Pothier), suivi sur Instagram par plus de 250 000 abonné.e.s, et qui recense les phrases malheureuses, si bêtes et sempiternellement abruptes du sexisme ordinaire, mixte et transgénérationnel. Exemple, parmi tant d’autres : « Une patiente que tu soignes aux urgences s’excuse en se déshabillant : désolée, je ne suis pas épilée. » Contre ces stéréotypes de genre, un livre, élaboré grâce aux oreilles attentives d’une vingtaine d’autrices, sera publié fin mars aux éditions Albin Michel.
Par ailleurs, Luna Baruta termine actuellement un roman noir qui parle « d’amour, de sexe, de rapports ambigus, des injonctions de la société sur l’individu, de morbidité, de féminisme, des traumatismes d’enfance ». Résumé : « À Lyon, une jeune femme, qui travaille auprès de personnes âgées ou handicapées, développe une fascination malsaine pour ces corps. Dégoûtée d’elle-même et du monde, elle s’installe chez une inconnue plutôt… borderline. »
Sur le pont de L’Arche de Nova, elle rêve à voix haute du jour où la boule au ventre hurlera à travers les rues, où « les trottoirs n’auront plus de dents et les murs plus de langues adipeuses », quand les filles pourront « sortir mollets nus et fouler la ville sans devenir minuscules. »
Pour commander Violences, c’est ici : berettaviolences.wordpress.com
Réalisation : Mathieu Boudon.
Image : Baise-moi, de Virginie Despentes & Coralie Trinh Thi (2000).