En 1988, David Cronenberg quitte peu à peu le placard du genre pur et dur pour gagner en respectabilité grand public. Ainsi vont les USA 80s, années Reagan, fric et blockbusters, où le cinéma fantastique est bien plus près du rebut que de la consécration. « It’s morning in America » et il s’agit d’être sage, ou le retour de bâton vous attend plein poire, et on connaît plus d’un intrépide du Nouvel Hollywood qui l’a pris en travers de la tronche.
Pas fou, Cronenberg délaisse donc un tantinet les explosions gore de ses premiers métrages (de Frissons jusqu’à Vidéodrome) pour pencher du côté de l’horreur psychologique, plus en cour. Mais même s’il entend capitaliser sur le succès de La Mouche sorti deux ans plus tôt, le bon David est loin de retourner sa veste ; les puristes du bis ne sont pas oubliés en chemin sur ce Dead Ringers (VF : Faux Semblants) qui recevra le Grand Prix du plutôt spé Festival du Film Fantastique d’Avoriaz (aujourd’hui installé à Gérardmer, où un certain Mathieu Mégemont a chopé en 2019 le Prix du court-métrage).
Mais venons-en au film proprement dit, qui sera à l’affiche de cette nouvelle séance de la Lune Noire. Pendant deux heures, Dead Ringers explore le thème du doppelgänger. Car si avoir des points communs entre frangins est plutôt normal, en avoir autant que les jumeaux Mantle est de l’ordre du flippant ; du sur-mesure pour les programmes de trash TV façon Tellement Vrai. Les deux protagonistes de Dead Ringers partagent tout – un métier, un cabinet de gynécologie, un appartement – jusqu’à leurs conquêtes. D’ailleurs, dans le film, ces deux personnages à la relation ambiguë sont joués par le même acteur (et parfois dans le même plan) : Jeremy Irons, très loin alors des dessins animés Disney et des franchises DC Comics.
D’ailleurs, ces si complémentaires jumeaux Mantle font une blague vieille comme le monde, à savoir se faire passer pour une seule et même personne. Bon, eux ne le font pas pour esquiver quelques devoirs d’école, mais sont les deux facettes d’une même pièce en permanence, y compris lorsqu’il s’agit de faire du gringue à une patiente, Claire (jouée par Geneviève Bujold), une actrice pas vraiment bégueule atteinte de stérilité, quasi-mutante.
Les deux frangins s’en éprennent mais à des degrés différents : quand le charismatique et mondain Eliot n’y voit qu’une femme parmi d’autres, l’introverti et plus geek Beverly fait d’elle LA femme de sa vie, refusant de la partager avec son camarade d’indistinction. Il veut alors exister pour et par lui-même. Se trace alors la multi-millénaire figure du triangle amoureux, qui va séparer et opposer les frères de manière irrémédiable, les plongeant dans la jalousie et la destruction mutuelles ; un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, jusqu’au terminus fatal garanti sans aucune marguerite dans le ter-ter.
Bref, de la psychose bien poussée, cumulant les effets pervers de « L’enfer, c’est les autres » et du « Je est un autre ». Autant dire qu’il ne faudra pas compter sur cette Lune Noire sous l’égide de Cronenberg pour vous permettre de bécoter tranquillou votre mec ou votre meuf entre deux bouchées de pop-corn dans le fond de la salle.
Lune Noire : Dead Ringers, le dimanche 5 mai à 20h45 @ Cinéma Utopia (Bordeaux)