Le producteur français signe un troisième disque intense et pluriel, marqué par quelques moments, cela tombe bien, de grâce absolue.
Plonger au plus profond de soi. En ressortir. Replonger, encore. Voir si, entre le plongeon et le moment où l’on ait remonté n’est pas apparu quelque chose de nouveau, caché jusqu’alors et désormais a découvert, à portée d’esprit, de conscience, de vision. Voir la musique comme une thérapie, une analyse, une recherche de ce qui, à l’intérieur, reste coincé et s’obstine, malgré les efforts, à rester dans l’ombre plutôt que dans la lumière. Chercher. Trouver autre chose que ce que l’on cherchait. Écarquiller les sens. C’est là, on y est.
Jean-Baptiste de Laubier exerce son métier de producteur de musique électronique (le terme est générique car sa musique est large) sous le nom de Para One. Il compose pour le cinéma (des collaborations très remarquées avec Céline Sciamma, dont la Naissance des pieuvres ou Portrait de la jeune fille en feu), est l’auteur d’une panoplie de remixes, exerce très sérieusement sous la qualité de DJ (lorsqu’il passe nous voir, notamment, dans Teuf d’appart), sort de temps à autre des albums qui ne se ressemblent pas.
Sortir des patterns
Ainsi, après deux albums plutôt à placer sous le sceau du clubbing pourvu d’élégance et d’érudition (Passion, puis Club), voici aujourd’hui un disque introspectif qui dynamite les carcans qu’il s’était lui-même, jusqu’alors, fixé. « J’avais besoin de sortir de patterns et de systématismes liés aux formats et de prendre des virages inattendus. Pour cela il a fallu avant tout m’autoriser ». S’autoriser à ? Eh bien à se libérer, justement, car il ne suffit pas de le dire mais il faut aussi se donner les moyens de le faire. La liberté, il ne suffit pas d’écrire son nom comme chez René Char, il faut aussi pister sa trace.
En thérapie
Alors on le disait, Para One a fouillé, est revenu sur les traces qu’il avait lui-même semées. Quand on vit, on sème des indices sur son propre chemin, mais on se retourne rarement pour en constater la forme. Des traces ? Celle dont on dit qu’elles sont “de famille”, d’abord, car il y a une histoire, dans la fabrication de ce disque, de figure paternelle et de secret bien gardé qu’il a fallu fouiller un petit peu plus qu’auparavant. C’est son histoire à lui. N’essayons pas de s’y infiltrer plus que de raison.
Des traces, ok. Pas que des photos de famille rongées par l’oubli, mais aussi celle de la musique qu’il a écouté un jour et qui l’a marquée à jamais, de Steve Reich à Jeff Mills, de Sakamoto au Mystère des Voix bulgares, ces chanteuses aux voix de sirènes qui envoutent et qui apparaissent, ô prestige, sur cet album qui sonne comme un manifeste : Machines of Loving Grace. Les machines portent en elles une âme et une chaleur qu’elles ne semblent pourtant pas porter au premier abord oui, c’est bien vrai. Elle porte même en elles, lorsque l’on croit vraiment en elles et cela est le cas du producteur qui fait l’objet de ces quelques mots, une certaine forme de grâce, de sacré, de cette impression de spirituelle qui devient, sur les pistes de danse ou sur les pistes du cerveau, quasiment charnelles. Machines of Loving Grace. D’abord, ça sonne moche. Puis ça sonne très beau. Écoutez le morceau « Sillicon Jungle » en songeant au titre du disque, et vous verrez que ça sonne beau.
Se trouver soi
Formulons-le plus simplement : ce nouvel album de Para One est un disque libre autant qu’un disque peut l’être. Il oscille entre 100 influences, 100 idées et 100 teintes mais demeure marqué, c’est finement joué, par un fil rouge invisible qui ne dit pas son nom mais qui pourrait bien trouver son origine dans cette idée, aussi, que Para One a trouvé sur son chemin, et qu’il formule ainsi : « Quand on part sur les traces d’une œuvre, d’une personne, du passé, on ne retrouve jamais vraiment ce qui était. On se trouve soi ».
Alors voilà, cet album, c’est Para One lui-même, loin des étiquettes qui grattent et qui ne servent à rien d’autre qu’à être rangées avec d’autres produits pseudo semblables, un album plein d’étrangetés belles et bizarres, comme ce passage des « Alpes » sans Napoléon mais avec beaucoup de montées, ce « Yret » plein de cordes et de sensibilités, cet essai polyphonique et vertigineux (« SPECTRE : Shin Sekai« ) qui mélange percussions de l’île de Sado au Japon, violon signé Arthur Simonini et l’enchantement mystique de voix bulgares issues des profondeurs du monde. De quel monde parle-t-on, encore ? De celui de Para One, vous avez compris. Entrez-y à pas de loups. Vivez intensément dedans. Puis sortez en, en pensant bien à tout remettre à sa place. C’est qu’à l’intérieur, l’équilibre y est fragile, au moins autant, rendez-vous compte, que l’idée même de grâce.
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