Phil Tippett a toujours été un créateur de monde. Sans ce génie des effets visuels et de la stop-motion, les créatures animées de La guerre des étoiles et L’empire contre-attaque, les robots de Robocop ou tant d’autres n’auraient pas eu le même impact dans la pop-culture. Tippett reste dans un monde des effets spéciaux désormais régi par l’image de synthèse, un artisan. La preuve avec un projet très personnel, son propre long métrage, Mad God, qu’il aura peaufiné pendant près de trente ans. Expérimentateur de génie dans la création et la manipulation de marionnettes, héritier incontestable de légendes de ce registre, comme Ray Harryhausen, Tippett ouvre enfin les portes de son propre imaginaire avec un film inclassable. Il n’y a pas vraiment de narration dans Mad God, pérégrinations d’un homme masqué dans un environnement post-apocalyptique, peuplés de divers monstres tous crocs dehors. Une sidérante immersion dans ce qui tient autant des cauchemardesques tableaux d’un Jérôme Bosch que d’une humeur enfantine. Ici, on croise autant des géants que d’étranges scientifiques en blouse blanche ou des références bibliques. Au loin, parfois, on y croise des humains dans des fausses images d’archives.
Mad God serait donc une vision brutale du futur, parfois insensées comme ces séquences où l’on extrait des fœtus de la glaise, mais construites avec des matières primitives de cinéma. Et si Mad God rappelle dans sa férocité ou sa créativité, les grands maitres de l’animation européenne comme Jan Svankmayer ou les frères Quay, c’est aussi par ce regard plus désemparé que cruel, percé de trouées d’humour noir ou rabelaisien, sur une civilisation humaine en ruine, ne vivant plus que par la violence. Tipett parvient pourtant à y faire exister la grace d’un écosystème de cinéma totalement organique, sorte de dystopie poétique infiltrée dans celle, funeste, de son récit expérimental. En ce sens, Mad God a quelque chose d’un film-monstre, dans sa longue gestation comme dans la folie de son univers. Mais peut-être plus encore quand ces visions dantesques tiennent de l’expérience dévorante de pur cinéma.
ENCORE ?
Retrouver tous nos podcasts