Le portrait de Néo Géo, par Liz Gomis
Dans Néo Géo, Liz Gomis fait le portrait de Maïmouna Doucouré, jeune cinéaste franco-sénégalaise qui s’est fait une place au sein de la grande famille pas toujours accessible du cinéma français. Elle a été récemment remarquée par l’Académie des Oscars.
« Parce que nous aussi on a besoin de se raconter, d’exister sur les écrans du cinéma français ».
Petit flashback en direct de la salle Pleyel, à l’occasion des Césars 2017. Maïmouna Doucouré, jeune réalisatrice, reçoit sa première statuette française pour son court métrage Maman(s) aux côtés d’Alice Diop sa co—lauréate.
La France du cinéma a reçu le message. Maïmouna entend bien marcher sur les pas de la réalisatrice Euzhan Palcy, première femme noire à recevoir une telle distinction. Maïmouna Doucouré a fait son entrée dans la fabrique de l’image grâce à un concours de scénario porté par l’Union Sociale de l’Habitat, le Prix HLM sur cour(t). Celle qui multipliait les petits boulots pour payer ses cours au Laboratoire de l’Acteur entrevoit là l’occasion d’aller au-delà de sa formation théâtrale.
Elle expédie en deux jours un scénario sur une bande d’enfants de la cité d’Ourcq dans le XIXe arrondissement, quartier où elle a grandi, et décroche le fameux sésame pour la mise en images : la réalisation de son premier court-métrage Cache-cache. Depuis toute jeune, Maïmouna noircit des tas de cahiers avec ses contes et autres saynètes. Les histoires, elle sait les raconter mais réaliser un film, elle n’y avait pas pensé. Elle relève le défi alors qu’elle n’a pas reçu de formation spécifique et n’a aucun lien avec la grande famille du cinéma. Ses parents, éboueur et commerçante, n’ont pas du tout prévu cette carrière pour leur fille. Qu’à cela ne tienne, Internet regorge d’une multitude de tutoriels et les copains qui gravitent dans le monde du ciné l’aident à appréhender ses trois jours de tournage sans trembler. Maïmouna remporte le 3e prix et une mention spéciale du jury, rien de mieux pour prendre goût à l’image. Nous sommes en 2013.
La jeune femme, encore étudiante en biologie, est tiraillée entre assouvir ses rêves et rester dans le cadre classique, pour ne pas effrayer ses parents qui ne peuvent appréhender le cinéma comme étant une voie professionnelle valable. De festivals en projections, elle finit par rencontrer le producteur Zangro qui la motive à s’accrocher. Maïmouna passe le cap et et continue d’explorer cette voie. Avec lui, elle écrit puis monte le dossier de financement pour tourner Maman(s) son second court métrage. Maman(s), ou une histoire de polygamie racontée à travers les yeux d’une petite fille. Un scénario pas très éloigné de l’expérience personnelle de la réalisatrice qui a elle-même grandi dans une famille polygame.
Maman(s) fait le tour du monde des festivals et repart avec plus de 40 statuettes notamment celle du Tiff de Toronto mais aussi et surtout, le prix du Sundance, le célèbre festival hollywoodien créé par l’acteur Robert Redford, où elle fait une entrée remarquée par les professionnels américains. Et pour clôturer cette folle tournée, c’est chez elle, en France qu’elle remporte, son premier César. Nous sommes le 24 février 2017.
Un an après son discours émouvant, Maïmouna est partie à la rencontre de jeunes gens qui, comme elle, sont allés au-delà des préjugés en cassant les codes pour se faire un place là où on ne les attendait pas. Elle en a tiré un documentaire, C’est pas pour nous, en écho à la phrase que sa mère lui prononçait quand elle insistait vouloir faire du cinéma.
Dans le même temps, Maïmouna s’est lancé dans l’écriture de son premier long-métrage, Mignonnes, dernièrement récompensé par le Academy Gold Fellowship Recipient décerné par l’Académie des Oscars, le prix qui récompense les espoirs du cinéma. Mignonnes est entré en production et le casting des jeunes filles s’est fait, une fois de plus, au-delà du périph’, à Stains, en Seine-Saint-Denis. Elle s’était engagée à faire bouger les choses et aujourd’hui, elle fait rêver toute une génération de jeunes femmes qui pensaient ne jamais pouvoir être conviées à la table de ceux qui réussissent à concrétiser leurs rêves.
Le Néo Géo du dimanche 24 mars, c’est en podcast.
Visuel © Stephane Cardinale – Corbis © Foc Kan