Le mot de la semaine en dit long sur le rapport des millenials avec la société de consommation (et les râpes à fromage).
Le Nouveau Mot, c’est tous les vendredis à 8h45 avec Marie Misset dans Pour que tu rêves encore, la matinale de Radio Nova. Vous pouvez lire cette chronique, ci-dessous, ou bien l’écouter, en podcast.
Si vous avez Netflix, vous aurez peut-être beaucoup entendu parler, ces derniers jours, de KonMari. C’est une technique de rangement élaborée par Marie Kondo, une japonaise devenue ces dernières années une sorte de papesse/prêtresse tendance gourou de l’organisation. Elle a écrit en 2011 un livre vendu à des millions d’exemplaires, qu’en français on appelle La magie du rangement. Et puis, donc, c’est aussi la star d’une nouvelle télé-réalité sur Netflix, dans laquelle elle aide huit familles à ranger chez eux. Une sorte de C’est du propre en plus branché.
Votre râpe à fromage vous rend-elle heureux ?
Les candidats appliquent la « méthode KonMari », c’est à dire qu’ils se saisissent de chaque objet, un par un et se demandent par exemple : « Cette râpe à fromage m’apporte-t-elle de la joie ? ». Si cette râpe à fromage de vous évoque rien, si elle ne fait pas naître en vous une tendre nostalgie en pensant à du comté râpé sur des coquillettes, alors il faut la jeter. MAIS avant de la jeter, il faut lui dire merci très gentiment. Par exemple : « Merci, râpe, d’avoir été là pour moi au moment où j’en avais besoin. » À la fin, on est censé se sentir serein, plus en accord avec soi et avec son intérieur. C’est une forme de méditation par le rangement.
Et ça cartonne.
Ça cartonne à travers le monde, y compris en France, où ça fait déjà quelques années que Marie Kondo accumule les adeptes. Le New Yorker écrivait il y a deux jours que depuis la sortie de la série sur Netflix, il y a de longues queues devant des friperies chics de New York, composées de personnes qui veulent se débarrasser de leurs vêtements, mais apparemment pas jeter leur argent en le remerciant d’avoir été là. À tel point que, dans les files, les gens parlent entre eux de KonMari et que devant la journaliste qui a écrit cet article, un mec a littéralement pété les plombs en hurlant : « Marie Kondo, je ne peux plus entendre ce nom ! ».
Consommer minimaliste
Au final, KonMari dit plein de trucs sur notre société complètement schyzophrène. Notre rapport à la consommation et aux objets par exemple. Il faut avoir moins, posséder moins, ne pas acheter comme on respire, mais toucher une râpe à fromage devrait nous procurer de la joie. Et puis si on veut aller au bout de la méthode, on peut obtenir une certification officielle grâce à la KonMari Media Incorporation, ça coûte 2 000 dollars, hors billets d’avion et logement. Consommer pour moins consommer, c’est le miracle minimaliste.
Ça participe aussi d‘un autre aspect décrit par un journaliste qui a testé la méthode pour l’Obs. Il admet avoir adoré ça, se sentir vraiment serein quand il rentre chez lui maintenant qu’il a remercié tous ses objets et en même temps, se rendre compte que ce bien-être vient d’un recoin un peu obscur en lui. Il cite un essai publié par Buzzfeed, qui s’intitule : « Comment les millenials sont devenus la génération bun-out ». On y explique que les médias qui nous encerclent, entre autres la série Netflix de Marie Kondo, nous disent que nos espaces personnels devraient être optimisés, tout comme nos personnalités et nos carrières. Le résultat final, ce n’est pas seulement de la fatigue, c’est une sorte de burn-out permanent, enveloppant, que l’on ramène jusque chez soi. On se met alors à ranger comme des frénétiques et à remercier compulsivement nos chaussettes orphelines.
Visuel © Getty Images / Gary Gershoff