Un documentaire nous invite à prendre le recul suffisant pour mesurer l’importance de ce mouvement musical.
Ce Mercredi, la Gaité Lyrique projetera un documentaire intitulé « Electro Chaabi » de Hind Meddeb , un titre qui a la difficulté de résumer un mouvement musical hétéroclite et radicalement innovant, il pose très justement la question de savoir comment l’appréhender.
L’histoire a toujours tendance à négliger l’importance de la musique populaire comme vectrice de réorganisation artistique ou de pensée. Elle est pourtant sans aucun doute le medium le plus efficace dès lors qu’elle transmet par les émotions et qu’elle fédère plus que n’importe quel ressenti sensoriel.
Ce postulat est à prendre en compte quand à posteriori d’évènement politiques, la lumière est portée sur les mouvements undergrounds, souvent artistiques, qui accompagnent les bouleversements de conscience.
Ainsi l’Egypte connait aujourd’hui un vivier de création mais surtout développe une identité qui lui est propre, au travers d’une nouvelle acceptation musicale.
Il convient alors de ne pas s’empresser de calquer sur ces mouvement une typologie musicale déjà formatée. Car la création populaire émane aussi d’une situation particulière et d’un contexte propre. Les salves de synthés que l’on retrouve dans ces rythmiques nouvelles sont ainsi singulières, notamment sous les doigts de Crispy, un des artistes mis en avant par le doc, qui amène une nouvelle façon d’utiliser son intrument.
Une jeunesse egyptienne exulte sur des sonorités qui lui sont propre puisqu’elles fédèrent. Apposer un prisme d’une musique pré-éxistante sur celle qui balbutie est alors enfermer trop tôt une perception de la musique et la dénuer de son identité. Les acceptations culturelles influencent en effet aussi beaucoup les compositions, et la façon dont est vécue cette musique.
Il serait tentant de parler de Free parties ou de rave, pour évoquer les images sous des tentes illuminées de boules multicolores dont fourmille ce très beau documentaire. Seulement ce serait oublier que ces fêtes se déroulent à des mariages, qu’elles appartiennent à un système culturel donné et qu’elles ont leur propre nom : les Mahragan.
Thèmes et lyrics populaires, beats et une certaines scansion se mêlent donc dans les mariages de la jeunesse du Caire, et déshinible la parole, « Tu m’as fait boire jusqu’à l’ivresse! J’étais complètement saoul quand tu m’as ramené chez mon père. Ça t’a bien fait rire mais moi je me suis pris la plus grosse torgnole de ma vie! »
Du quartier d’Imbaba au district de Matariya, chaque secteur possède ses sonorités, preuve que le mouvement a suffisament d’ampleur pour déjà se diviser en sous genres. Chipsy pousse son son synthé vers une transe orientale. DJ Wezza est un pionnier du genre, figure patriarcale du mouvement. Oka et Ortega incarnent peut être déjà la starification du phénomène quand MC Sadate et Amr Haha et leurs textes conscients étaient incroyablement précurseurs d’une révolution qui est devenue politique.
Il faut alors s’ouvrir à cette musique pour la capter dans son ensemble et en saisir les aspérités sans sombrer dans le miroir déformant d’une médiatisation expresse et réductrice et c’est ce que permet ce documentaire. Bien sûr, l’industrie musicale flairera ce qui peut se dégager d’une atmosphère d’ébullition et de création comme celle-ci, il faut donc l’embrasser dans son ensemble pour en retirer l’essence, l’innovation musicale et une soif de de l’autre et du partage, et c’est cela et cela seul qui demeurera, quand le nom de Mubarak ne sera déjà qu’un écho.