Quand la FM contrôlait la musique.
Célébré pour ses formidables sélections de Disco et de Boogie français, Charles-Maurice est un digger invétéré et un passionné de musique. Pour Favorite Recordings, il sort aujourd’hui la troisième édition d’une série de compilations consacrées à la musique qualifiée d’« AOR » à travers le monde. Huit morceaux rares et oubliés produits entre 1977 et 1982. Une formidable nouvelle compilation teintée de grooves rares que Nova vous recommande fortement mais qui pousse aussi à s’interroger sur la notion même d’AOR.
Pop-rock grandiose pour la FM
De l’écoute de ces morceaux, il ressort une homogénéité dans l’attention portée à la production, d’un sens du détail dans l’arrangement ainsi qu’une volonté d’instiller de la soul, du jazz, parfois même de la disco, dans ce qui sonne comme un format de pop-rock song standard, avec une couleur qui fait irrémédiablement penser à la Californie et à un son west-coast.
Cette homogénéité donne une cohérence évidente à la série de compilations, qui rassemble tout de même de la musique des Pays-Bas (Erik Tagg), Polonaise (Ulla), hawaïenne (Nohelani Cypriano) ou bien encore québécoise (Diane Tell) par le passé, mais aussi le Brésil (Willy Santana), la suède (Funky Team) sur cet opus. Mais c’est son intitulé qui questionne, puisque ces titres sont rassemblés sous une étiquette qu’est l’AOR, au-delà des frontières.
Il convient donc de définir ce qu’est le genre, ou au moins le registre de production qu’est L’AOR.
Dans cette démarche définitionnelle, AOR est tout d’abord un acronyme, pour « album-oriented rock » ce qui en traduction littérale pour nous, pauvres Français, ne veut strictement rien dire.
Un genre pensé comme un format radiophonique
Le terme est en vérité technique car il s’agit de jargon radiophonique. Il s’agit d’un format radio que les programmateurs ont inventé au milieu des années 70 pour tenter de contenir l’expansion incontrôlable du Rock FM, qui obnubilait l’ensemble des programmations musicales et ne faisait des playlists radio qu’un top 40 de singles en repeat permanent.
Conséquence de cette stratégie marketing consistant à bastonner des singles à tout va, la variété de registres de musique diffusés à la radio (Soul, Jazz notamment) baissait de façon radicale, remplacée par un style de rock FM rôdé et pensé pour la radio.
L’ambition était donc de créer des titres de musique qui soient plus « expérimentaux » en façade et qui sonnent comme des morceaux d’album à intercaler entre les singles dans la programmation et qui se teintent, de funk, de jazz, pour donner l’illusion d’une variété musicale sans pour autant perdre les auditeurs addicts aux tubes rock FM.
Et il s’est avéré que beaucoup de groupes de musique ont été prêt à se fondre dans ce registre pour espérer trouver une place au soleil. Pour beaucoup, le groupe qui représente le son AOR absolu est Steely Dan, groupe de New-York qui épouse tout l’univers californien et s’entoure de monstres de studios pour changer leur musique. D’autres déterminent que l’AOR comme genre musical est identifiable avec le premier album de Boston qui paraît en 1976, et se vend comme des petits pains.
Rapidement le genre remplit les bacs des disquaires et des groupes choisissent même délibérément de prendre le virage AOR pour relancer leurs carrières, reformatant leur son dans cette perspective.
Un son détesté par la critique rock
L’AOR est donc le son ultime de l’ère du rock radio-friendly, sur lequel des radios comme RTL2 surfent encore aujourd’hui. Les morceaux se ressemblent donc, où les refrains prennent le dessus sur les couplets, une structure refrain /couplet / refrain / couplet / refrain / refrain / refrain… Un son boosté par des arrangements denses et des harmonies vocales ou se mêlent riff et lignes de clavier.
L’ambition de ces morceaux était de sonner à la fois de façon grandiose, presque épique, sans être trop long et tout en conservant une immédiateté radiophonique. Les choeurs de refrains en onomatopées remplacent les longs solos de guitare, et les mélodies doivent être facilement identifiables.
Bien évidemment, la critique rock a tiré à boulet rouge sur ce rock de stade pensé pour les radios commerciales qu’ils voyaient déjà comme le cancer de la pop musique. Mais cela n’a pas empêché à cette musique d’étendre son âge d’or jusqu’au milieu des années 80.
Un plaisir coupable mais merveilleux
Ça, c’est pour la théorie, mais dans les faits, avec un peu de recul et une oreille ouverte, on peut évidemment déceler des merveilles dans ce registre de création. Comme les groupes se bousculaient au portillon, il existe une variété colossale de titres produits à cette époque et ce à travers le monde. Certains labels ce sont même spécialisés dans la réédition de perles rares de cette époque comme Rock Candy Records.
Et si l’on cesse de se pincer le nez, on peut découvrir, comme Charles-Maurice, de vrais petit chefs-d’oeuvre pop, d’autant plus pertinents à écouter quand la pop musique est de plus en plus éclatée et micro-genrée. Créer des chansons grandioses censées parler à tous est forcément digne d’intérêt, et puis finalement si cette musique n’est pas tolérée par l’intelligentsia musicale, n’est ce pas-là le meilleur des guilty pleasure ?
Visuel : (c) DR