Un an après sa mort, l’immense photographe malien célébré Fondation Cartier.
1960. Le Mali, anciennement Soudan français, profite à son tour du vaste mouvement de décolonisation qui touche une bonne partie de l’Afrique (du Maroc à la Tunisie, du Ghana au Cameroun, du Bénin au Togo…) pour acquérir une indépendance vis-à-vis de son ancienne métropole, une indépendance officialisée le 22 septembre 1960 et qui porte à la présidence Modibo Keïta, panafricaniste et tiers-mondiste convaincu. « Un peuple, un but, une foi », dit alors la devise du tout nouvel État.
Mali Twist
Le peuple, celui qui compose de toute part cette entité si neuve. Voilà l’object exclusif de l’oeuvre de Malick Sidibé, dont le talent émerge à cette époque bouleversée par ce libre-arbitre politique soudain, et par la révolution culturelle qui commence, en Afrique aussi, à atteindre la jeunesse. C’est que le twist, le rock’n’roll, les musiques afro-cubaines, débarquent à leur tour à l’Ouest du continent, mutation sonore symbolisée évidemment par le classique « Mali Twist », interprété en 1963 par le célèbre Boubacar Traoré, un artiste appartenant désormais au panthéon culturel du pays de Salif Keita, d’Amadou & Mariam, de Tinariwen.
Le twist, le rock’n’roll, et donc les fêtes, qui se développent à Bamako, soirées où l’on se déhanche, en bord de Niger, où l’on danse, les corps collés mais jamais trop – la foi qui régit le pays est celle de l’Islam, qui n’autorise pas de relations hors-mariages -, le sourire aux lèvres, les vinyles collés aux platines (Pirate Choices, l’album du groupe malien Orchestra Baobab, sera d’ailleurs plus tard illustré par l’une de ces photos de soirées).
Dans ces soirées, deux yeux attentifs, et un regard strabique qui observe le monde à travers le prisme d’un appareil photo, dont il ne se sépare pas. C’est Malick Sidibé, qui dût faire « ses armes » du côté de Soloba, dans un village bien loin de Bamako, et qui parcourt désormais la capitale, poussant parfois son vélo ou son solex jusqu’aux extrémités de la ville. Lancé, il peut « couvrir » jusqu’à trois soirées différentes, non seulement pour ne vexer personne (car il devient rapidement un important « notable » de la ville), et surtout, pour ne pas perdre l’essence de ce travail fondamental : capter le regard, le geste, l’attitude de cette jeunesse malienne qu’il photographiera, bientôt, d’une toute autre manière, en installant ce qui deviendra sa véritable marque de fabrique.
À partir des années 70, il fait en effet de son Studio Malick, créé en 1958 à Bamako, un lieu de mise en scène, non plus seulement de la jeunesse, mais de qui le souhaite. À l’opposé de la photo-reportage qu’il pratiquait d’abord, il accueille en effet désormais le Tout-Bamako dans ce studio dans lequel s’accumulent les individus, modèles qu’il déguise, qu’il met en scène, qu’il positionne à sa guise, afin de pouvoir en extraire, le plus judicieusement possible, toute l’humanité. De ces portraits, toujours réalisés en noir et blanc, se dégage une force formidable, et une authenticité véritable, forcément paradoxale, puisqu’occasionnés par la mise en scène. Au total, le Malien en réalisera des milliers, de ces portraits réalisés jusqu’aux toutes dernières années du photographe, pèlerinage obligatoire pour quiconque ce serait rendu à Bamako entre les années 70 et les années 2010.
« La chose la plus authentique, c’est le visage. »
« La chose la plus authentique, c’est le visage. Donc pour moi la photo est la mieux placée pour perpétuer son image. L’homme a voulu imiter Dieu par le dessin, ensuite la photo est venue et je pense que l’on n’a rien inventé de mieux pour perpétuer l’image. Je crois au pouvoir de l’image. », dira-t-il plus tard en 1995, devenu l’artiste malien le plus célèbre de son temps et reconnu, largement, à l’international, et ce, surtout, depuis les premières Rencontres africaines de la photographie, organisée à Bamako en 1994. Il reçoit notamment en 2007 le Lion d’or d’honneur, venant célébrer l’ensemble de sa carrière, à l’occasion de la 52e Biennale d’art contemporain de Venise. D’un village si éloigné de Bamako à la Biennale de Venise, la trajectoire d’un artiste dont rien ne pouvait anticiper le succès, fulgurant.
Un an après son décès, la Fondation Cartier (Paris XIVe), sous le commissariat d’André Magnin, met donc à l’honneur le photographe malien, à travers une exposition rétrospective mettant en scène quelques 300 images (et un film documentaire d’une heure, excellent), axant principalement le trait sur ce Studio Malick dont l’on vous propose, ci-dessous, les plus belles pièces :
Dans le cadre de l’expo Malick Sidibé, Mali Twist à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, quelques événements, dont la venue des Songhoy Blues, qu’on avait reçu dans Plus Près De Toi, ou de Ballaké Sissoko, reçu dans Néo Géo. La programmation complète. L’expo, elle, est visible jusqu’au 25 février 2018.
Visuels : (c) Malick Sidibé