Le label Strut Records réédite deux albums des Malombo Jazz Makers, étapes dans la carrière d’un groupe qui contournait les lois ségrégationnistes.
Le mois dernier, on vous a raconté l’histoire des Mahotella Queens, l’un des groupes porte-voix des peuples écrasés par le racisme systémique de l’apartheid. Devenues cultes dans la bande-son sud-africaine, les Queens avaient porté le témoignage de ces injustices à l’international. Aujourd’hui, la réédition d’un disque de jazz sud-africain permet de se replonger dans la folle histoire du groupe Malombo Jazz Makers, témoins plus confidentiels de la lutte sonore contre l’apartheid en Afrique du Sud.
À l’origine de Malombo Jazz Makers, on trouve les multi-instrumentistes Phillipe Tabane et (je n’ai pas l’orthographe du deuxième). Opérant initialement sous le nom de The Malombo Jazz Men, épaulés par Abbey Cindi (flûte) et Julian Bahula (percussions), le groupe a évolué au cours des années 60, en partie grâce à Tabane qui s’est chargé de former une succession de musiciens. L’ensemble propose une instrumentation originale où les percussions Mapombo se superposent aux sons de guitare, de voix et de flûte de Tabane.
Les Malombo Jazz Makers étant ouvertement opposés au régime de l’apartheid, leurs disques étaient rares, pressés en peu d’exemplaires et diffusés tellement discrètement que même les principaux intéressés n’ont pas forcément eu de copies dans les mains. En regardant en arrière, ces musiciens ne peuvent s’empêcher de se demander si une quelconque censure était à l’œuvre.
Ces « faiseurs de jazz » payent ici le prix d’une carrière passée à protester contre les lois ségrégationnistes alors en vigueur en Afrique du Sud, et à braver les interdits. C’est parfois par la ruse qu’ils résistent en se recouvrant le corps de peinture blanchissante, pour accompagner des musiciens blancs sur scène, contournant ainsi l’interdiction qui empêche artistes blancs et noirs de partager la lumière. La contestation, ils la vivent aussi en mouvement. Les Jazz Makers vont organiser une tournée clandestine à travers l’Afrique du Sud en compagnie de l’écrivain et militant Steve Biko, fondateur du SASO, syndicat des étudiants noirs sud-africain, voix majeure dans la lutte des droits civiques à l’époque.
Parallèlement, les Malombo Jazz Makers sont invités à jouer au Free People’s Concerts, un des seuls festivals de musique en mixité ouverts aux sud-africains noirs à l’époque. L’organisation de ce festival n’était d’ailleurs possible qu’en abusant d’un trou de souris dans la législation ségrégationniste, qui permettait aux artistes noirs de jouer pour un public mixte, à condition que l’événement soit gratuit et privé. Ces festivals se soldaient parfois par des raids des autorités.
Alors que leur notoriété grandit chez les populations noires, la consécration du groupe viendra en 1964, au Castle Jazz Festival d’Afrique du Sud, peu de temps après la condamnation de Nelson Mandela à 26 ans de prison supplémentaires. Le groupe sud-africain fait vibrer toute la salle avec un style de jazz inspiré de la musique du peuple Venda, issu du nord-est du pays, et assure sa place dans l’écosystème sonore sud-africain, tout en déménageant une fois de plus les autorités.
Contre toute attente, ils remportent le Premier Prix et décrochent un contrat d’enregistrement avec le label Gallotone basé à Johannesburg. Malombo Jazz Makers et Malombo Jazz Makers Vol. 2 ont été le résultat de cette collaboration inattendue. En 1981, revenant sur l’événement de 1964, le journal sud-africain Star écrit à ce sujet “Les débuts de Malombo ont eu un effet dévastateur et ont été le précurseur d’un réveil musical chez les musiciens noirs. C’était en un sens le prédécesseur de la philosophie de la conscience noire. »
Malheureusement, ce succès, révélant au plus grand nombre leurs prises de position, entraîne son lot de problèmes au groupe, très engagé contre les politiques racistes du pays. En Afrique du Sud, les Malombo Jazz Makers deviennent persona non grata et certains des membres choisissent de poser les instruments pour vivre cachés, les autres préférant l’exil. Cette séparation signe la fin de leur carrière commune.
Reste aujourd’hui le témoignage de cette époque sous forme d’albums aujourd’hui réédité par le label Strut Records : Malombo Jazz Makers et Malombo Jazz Makers Volume 2. Peut-être qu’à l’avenir ces exhumeurs nous offrirons le 3ᵉ disque de leur catalogue Malompo Jazz, tout aussi précieux.