La chronique de Jean Rouzaud.
Quand Marianne Faithfull naît à Londres en 1946, juste au lendemain de la Guerre mondiale, elle n’imagine pas qu’elle va être prise, quinze ou vingt années plus tard dans un tourbillon de folie…
Son ancêtre ? Le père du sadomasochisme…
Elle ne sait pas non plus que ses origines autrichiennes, et le fait qu’elle soit l’arrière-petite-nièce du célèbre écrivain Leopold von Sacher-Masoch (inventeur du sadomasoschisme par sa vie et son roman La Venus à la fourrure) va également influencer sa vie…
Car cette jeune femme à part, attirée par la littérature et la poésie, va se trouver « à la bonne place au bon moment » en plein cœur de la révolution Pop, des « swinging sixties » et de la « british invasion »…
Avec la mode (Mary Quant et sa mini jupe), Vidal Sassoon (et ses coiffures asymétriques ), le Pop Art (inventé en Angleterre puis piraté par l’Amérique), les Beatles et Carnaby Street, Londres est devenu le centre culturel du monde !
Marianne Faithfull, égerie des Stones
Andrew Loog Oldham (deuxième manager des Rolling Stones après Giorgio Gomelsky) la découvre dans une galerie et flashe sur cette petite blonde sexy, l’incarnation d’une Ophélie romantique.
Bien qu’elle pense poésie et théâtre, il lui fait enregistrer « As Tears Go By », balade romantique créée par Mick Jagger et Keith Richards sur l’insistance d’Oldham (leur première création, dit-on…)
C’est un succès en 1964 (les Stones reprendront ce hit, qu’ils croyaient trop mièvre pour eux, en 65…) et la vie de Marianne Evelyn Gabriel Faithfull va basculer définitivement.
Sa vie ne lui appartient plus : elle est dans les journaux, à la télévision, épouse John Dunbar (directeur de la galerie Indica avec Barry Miles, que Paul McCartney financera…) et dans la foulée, devient l’égérie des Rolling Stones et la fiancée de Mick Jagger…
Fascinée par Brian Jones, le plus cultivé des Stones (mais qui était déjà pris par Anita Pallenberg, autre égérie, intime des Stones, actrice et personnalité hors norme), elles ne se quittent plus…
C’est une période folle où le LSD, la libération sexuelle, l’occultisme, la magie, sont des passions de la nouvelle génération… Les deux fiancées des deux Stones les plus en vue consomment tout : modes et drogues, parties et concerts, se prennent pour des magiciennes aristocrates issues de la vieille Europe, et se croient protégées…
La Belle et la (peau de) Bête
Au cours d’une party chez Keith Richards, la légende dit qu’une descente de police la trouve nue dans un manteau de fourrure… La descendante de l’auteur de Venus in furs rejoint son destin !!!
Scandales et drogues se succèdent. Brian Jones est inquiété, et les filles plongent dans un occultisme noir, qui finira par effrayer Jagger (Faithfull joue même une prêtresse plus qu’étrange dans Lucifer rising de Kenneth Anger, cinéaste underground et gourou sulfureux, mais aussi une motarde gainée de cuir noir dans La motocyclette avec Alain Delon, une touche SM dans un navet).
Cette période trouble inspirera le morceau des Stones « Sympathy for the Devil », et verra la séparation de Faithfull et Jagger, qui avant de partir, aurait détruit tous les livres sur l’occultisme de Marianne…
Soeur morphine
Elle aura le temps de commencer une carrière au théâtre : dans Les 3 sœurs de Tchekhov et Ophélie dans Hamlet, avec Anthony Hopkins… Son physique d’héroïne romantique joue pour elle.
Le caractère particulier de cette fille éprise de culture au milieu d’une scène Rock sauvage, les déceptions commerciales avec ses choix de chansons Folk plus que Pop ou Rock, et bien d’autres frasques d’une période folle, sonnent la fin du « tout est permis »…
En quelques années, sa réputation de scandaleuse célèbre est faite, mais au cours des années 70, l’intraitable Marianne va littéralement plonger dans la drogue et les rues de Soho, quasiment S.D.F., aidée par les services d’hygiène… La chute est dure.
Elle écrit « Sister morphine » qui sera interdit, rate un rôle dans le Macbeth de Polanski, mais continue d’écrire, de chanter et de jouer.
Marianne Faithfull est entrée dans la légende, elle a vécu au cœur du cyclone Pop, elle l’a influencé et toute sa vie elle trouvera à jouer, chanter, écrire, par étapes, entre deux amants ou deux managers.
En 1979, fouettée par le Punk, elle sort l’album Broken English et remporte un succès d’estime. Une renaissance ?
Il existe au moins cinq biographies, dont deux écrites avec elle. Sans parler de sa présence dans des dizaines de biographies d’ autres stars rock avec lesquelles elle a joué…. On la demande sans cesse pour des duos ou des collaborations !
Didier Delinotte, éditeur et auteur chez Camion Blanc, vient de sortir une bio ultra précise et complète, fasciné par la vie et les prolongations que cette fille increvable joue encore ! Ce gros livre historique, plein de disputes instructives et de malédictions tenaces, laisse pantois.
Des années 80 à maintenant, c’est plus de dix films, dix albums et vingt collaborations et duos, des DVD, de la télévision, des tonnes d’interviews et de citations qui constituent le Marathon Faithfull, qui n’a jamais lâché. Son cap : la culture au sens large.
Marianne Faithfull, la petite sœur du Rock. La scandaleuse de Londres. Par Didier Delinotte. Éditions Camion Blanc. 350 pages. 30 euros. Ce livre érudit très détaillé, comporte également une bibliographie et une discographie complète et la description minutieuse de chaque production et de beaucoup de chansons, spécialité de cet auteur.
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