Le film « The Artist is Present » sur la papesse de l’Art corporel sort dans les salles
Conjuguez la création au féminin, donnez-lui l’accent yougoslave et regardez-la dans les yeux : elle s’appelle Marina Abramovic. Son nom n’est pas aussi connu que celui de Pablo Picasso, d’accord. Pourtant, née à Belgrade en 1946, Marina Abramovic est peut-être aujourd’hui la plus importante des artistes vivantes, une de ces figures dont on peut assurer sans risque de se tromper qu’elle passera à la postérité. En règle générale, c’est la création d’œuvres originales, singulières, radicales qui justifient ce genre de consécration. Dans le cas de Marina Abramovic, la nouveauté ce n’est pas vraiment une œuvre. C’est plutôt elle-même ou les mises en situation de son propre corps. Car Marina Abramovic signe des performances. Elle invente et expérimente des situations qui n’existent pas dans la vie. Et ces situations sont l’expression d’une violence politique, d’un rapport de force social, d’une révolte.
Un exemple : avec son complice des débuts, Ulay, qui fut son amant, son ami, son âme sœur, ils forment un couple qui, sans se nourrir, ni dire un mot, ni bouger un bras, s’assied, l’un faisant face à l’autre, pendant des heures, des jours entiers, jusqu’à l’épuisement total. Ulay explique à ce sujet que cela confronte la société à l’immobilité, au silence et au jeûne. Trois choses totalement intolérables dans notre monde actuel.
Une performance, c’est évidemment un spectacle. Il y a un espace de production, même s’il ne s’agit pas d’une scène ; il y a un public ; même s’il n’est pas assis ou consentant. Mais Marina Abramovic n’est pas une comédienne qui interprète une fiction; elle est une performeuse. Comme elle le confie elle-même, la différence entre jouer et performer est assez simple : jouer, c’est avec une lame en plastic et du ketchup ; performer, c’est avec un couteau et son propre sang. Et elle sait de quoi elle parle. Dans l’art dramatique, un des lieux communs prétend qu’on « se met en danger » (c’est une des expressions favorites des théâtreux) mais cela ressemble à un banal effet de langage quand on connaît un peu l’art de la performance : Marina Abramovic, elle, repousse ses limites corporels, elle apprivoise sa douleur. Illustration : en 1975, elle avale un kilo de miel, un litre de vin puis taille autour de son nombril une étoile à cinq branches avec une lame de rasoir.
Le film qui lui est consacré est remarquable. Ce documentaire « Marina Abramovic – the artist is present » est signé Matthew Acker : il revient à la fois sur les grandes performances de la vie de la performeuse et s’attarde longuement sur la rétrospective du Moma à New York en 2010, justement intitulé « the artist is present » .
Le film montre de nombreuses séquences de cette exposition au cours de laquelle Marina Abramovic se tenait fixement devant des visiteurs qui, les uns après les autres, s’asseyaient face à elle. Elle est restée en tout près de 800 heures sur une chaise, sans rien dire, ni bouger juste à regarder ceux-là qui venaient à sa rencontre. Ces face-à-face sont tous beaux à pleurer. C’est beau à pleurer parce que le regard de Marina Abramovic est d’une intensité, d’une puissance épique. Et puis, il y a ce moment de pure magie, ce moment où le visiteur qui se dresse face à elle est Ulay… Ulay l’homme de sa vie, avec qui elle avait précisément élaboré ce protocole, avec qui elle l’avait mené pendant des jours et des jours, et dont elle s’était séparé et qu’elle retrouve, là, après des années de distance – un pur moment de grâce, qui montre que l’art corporel, l’esthétique de la performance, derrière son austérité apparente, tend aussi au lyrisme. « Marina Abramovic – the artist is present », c’est un film qui vous rend plus présent au monde… Sacrée performance !
En bonus :
Le perfomeur Albert Sorbelli se souvient de Marina Abramovic qui mange de l’or !
Anne Dreyfus, directrice du Générateur à Gentilly, parle de Marina Abramovic. Pas amoureuse mais presque !
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