La chronique de Jean Rouzaud.
Mario Bava (1914-1980) fut directeur photo, scénariste, réalisateur, considéré comme le maître du cinéma fantastique italien.
Bava fut très clair : « Je voulais faire de la peinture, mais comme cela ne rapportait rien, je me suis mis au cinéma ». Son père, sculpteur faisait de même en créant des décors, par nécessité.
Et dès 1939, il commence comme directeur photo, avec le pape Roberto Rossellini (Allemagne année zéro, Rome ville ouverte, Stromboli…) Immédiatement repéré et apprécié pour ses éclairages flamboyants, il est appelé auprès de Georg Wilhelm Pabst, Dino Risi, Riccardo Freda ou Raoul Wlash, autres géants du cinéma…
Lorsque Riccardo Freda abandonne le tournage des « vampires » vers 1957, Bava, qui assurait la photo et les effets spéciaux, reprend et boucle naturellement le tournage. Puis il officie sur de grands péplums : La bataille de Marathon de Jacques Tourneur, puis co-réalise les Travaux d’Hercule et Hercule et la Reine de Lydie avec Pietro Francisci.
Maître du suspens, de l’épouvante, du fantastique…
Enfin en 1960 on lui confie Le masque du démon, premier chef-d’œuvre gothique, en noir et blanc, avec Barbara Steele. S’inspirant des anglais de la Hammer, il surclasse les maîtres british gothiques et offre une merveille expressionniste, la lumière y est sculptée, veloutée ou tranchante, les décors somptueux, les cadrages parfaits… Le monde découvre un maître du suspens, de l’épouvante, du fantastique.
C’est parti : deux péplums Hercule contre les vampires, qui a marqué ma jeunesse avec des lumières colorées dans des grottes, des cadrages et des contre-jours, comme on n’en voyait jamais. Il enchaîne avec des policiers : La fille qui en savait trop (1963), posant ainsi les bases du « Giallo », ces polars erotico gore dont l’Italie va abuser (et Dario Argento reprendra le flambeau, à fond).
…et du Giallo
Puis Le corps et le fouet, Les 3 visages de la peur, et Six femmes pour l’assassin, lumières qui flamboient, décors et cadrages dérangeants, sons et musiques obsédants… Il EST le maître du Giallo.
Bava avait également réalisé deux films de vikings grandioses, bruts et nordiques, appliquant ses principes d’opéras aux cadrages ultra modernes, violents et contrastés, avec fondus, zooms, travellings et incrustations, sans oublier des bandes sons avant-gardistes.
American International Pictures lui propose un contrat pour cinq films de science-fiction, il n’en fera qu’un : La planète des vampires, stupéfiante dérive d’un naufrage spatial (dont Ridley Scott s’inspirera pour Alien !!!) Un exploit réalisé en studio, sans moyens, aux couleurs rouge et argent, rochers noirs : un space-opéra artistique !!!
Tim Burton lui doit beaucoup, et il n’est pas le seul.
Après ces séries de démonstrations sixties, au sommet d’un Art à part, unique, ou l’image compte plus que tout, il réalise Danger : Diabolik ! (1968) d’après une BD-polar-érotique-design, dont il sort frustré, malgré une réussite publique et un résultat culte (les producteurs voulaient un spectacle commercial, débarrassé du sang, des bizarreries, du mal-être et des effets fous, qui sont la marque même de ce maitre du décalage…)
Il aura encore le temps de frapper quelques grands coups avec Lisa et le diable, et surtout Chiens enragés, autour de 1975…Il laisse la place à son fils Lamberto, réalisant Les démons de la nuit en 1977.
Mario Bava ne s’intéressait ni aux acteurs (qu’il voulait spectaculaires, avec des physiques d’opéra) qu’il utilisait comme des mannequins (et usant souvent de vrais mannequins dans ces décors, pour nous troubler).
Ses scénarios, exagérés, invraisemblables, pleins de références, de clins d’yeux et de bizarreries, étaient également le prétexte à faire des images comme peintes, ultra colorées par des cellophanes, des gélatines, des cadrages coupés, décalés, parfois pris dans des miroirs, inondés de lumières spectrales, sorties de nulle part…
Bava fut vraiment un génie des bricolages, des idées inattendues, prêt à tout pour arriver à des effets déroutants, des renversements de visions, suggérant toujours que ce qu’il nous montre est faux, ou un rêve, une illusion du personnage, le tout marqué de bruits (vent, eau, insectes…) afin de nous faire basculer dans son monde irréel, fantastique, purement spectaculaire, déroutant, vide ou trop plein, coupé à la hache !
Les éditions Lobster, société de films d’archives, sortent un livre, absolument complet sur ce génie méconnu (et mal vu à ses débuts), une filmographie complète, mais surtout une analyse totale et en profondeur des méandres de l’imaginaire de Mario Bava, si riche et prolifique en idées et en applications pour le grand écran.
Même ses écarts de goût sont un cadeau royal au cinéma.
Mario Bava. Le magicien des couleurs. Par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele. Éditions Lobster. 168 pages. 12 euros
Visuel en Une © Mario Bava, La Planète des Vampires