Une playlist pour se souvenir de l’icône du post-punk de Manchester.
Mark E. Smith, chanteur, leader, et unique membre permanent du groupe The Fall, est mort cette nuit, mercredi 24 janvier, à l’âge de 60 ans. Et c’est déjà une surprise que cette icône incontestable du post-punk britannique, à l’origine de tant de choses (compliqué d’imaginer Sonic Youth ou LCD Soundsytem sans le son des Fall) soit demeuré en vie jusqu’à l’aube de sa soixante-dixième décennie. Réputé insupportable, despotique (une soixantaine de membres ont circulé au sein de The Fall depuis la fin des 70’s…), alcoolique, curieux de substances non licites, bagarreur, un brin violent en fonction des occasions, beaucoup auraient en effet vu l’homme dévergondé « du peuple » (il a grandi dans une famille très modeste, à Broughton), le pilier de pub, qui vilipendait la bourgeoise au sein d’une opposition séculaire permanente, trépasser bien plus tôt.
Discographie à rallonge, et sans véritables succès
Mais Mark E. Smith a tenu. Longtemps, et suffisamment pour sortir une discographie à rallonge (trente-deux albums tout de même, dont le chef-d’oeuvre Hex Enduction Hour, 1982), sans véritables succès commerciaux (ça n’a jamais été l’objectif) mais avec quelques furies devenues classiques (« Mountain Energy », « Totally Wired », « Rowche Rumble », « Victoria »…) pour les nostalgiques d’une époque révolue : celle où l’on acceptait l’idée du punk à trois accords, mais avec beaucoup de rage, et celle qui fut la naissance d’un son, le post-punk revanchard, à jamais associé, avec l’acid-house et la britpop d’Oasis, à la glorieuse cité de Manchester.
Totally Wired
Dans sa biographie parue l’an dernier (Mark E. Smith Renégat, Serpent à plumes), dans laquelle il réglait ses comptes avec tout et n’importe qui (des anciens membres du groupe, le foot, le poker, les groupes de rock actuel – Pete Doherty en prend, notamment, pour son grade…), il revenait, parmi mille élucubrations revanchardes, sur les débuts de The Fall, dans la banlieue de Manchester :« On vivait dans un appart sur Kingston Road, dans une semi-communauté. Bramah [le guitariste de l’époque] méditait, un autre nous cassait les couilles avec ses théories sur le végétarisme et ma soi-disant petite amie s’envoyait en l’air avec un hippie. Je n’étais pas amoureux d’elle, cela dit. » Ce genre de mec. Juste avant, comme beaucoup d’autres, il avait assisté au concert, mythique, des Sex Pistols au Manchester’s Free Trade Hall, et avait quitté dans la foulée, sous le charme, son boulot au dock de Salford, quartier alors craignos, pour fonder The Fall, qu’il nomma en se souvenant du roman du même nom (La Chute) de l’existentialiste français Albert Camus.
Punk brutal, et prose lettrée : les textes de Mark E. Smith, beckettiens et Ken Loachiens avant l’heure, évoqueront souvent l’absurde, mais également ce qui dure : la violence dans le foot, dans le pub, les fantômes qui perdurent, et les chutes, bien sûr, quelles qu’elles soient. Ce sera un leitmotiv. Jusqu’au bout.
Pour se rappeler de l’immense Mark E. Smith, et de son groupe aux membres changeants, une playlist, forcément très très très incomplète.
Visuel © Getty Images / Simon Horswell