Des immeubles s’effondrent dans les quartiers populaires de la cité phocéenne. Sur place, habitants et collectifs s’organisent.
Le 5 novembre dernier, dans le centre-ville de Marseille, trois immeubles s’effondraient, causant la mort de huit personnes. Depuis plus de dix jours, la situation prend une tournure complexe. En creux, la problématique du mal-logement et la colère d’une population face à des choix urbanistiques déconnectés de la réalité. Sur les réseaux sociaux, l’ampleur du hashtag #BalanceTonTaudis amène à l’évacuation de dizaines de personnes chaque jour. Rencontre avec des Marseillaises et Marseillais dont la colère n’a d’égale que l’amour qu’ils portent à leur ville.
Rue d’Aubagne. Un architecte dénonce la « cupidité meurtrière » de « riches propriétaires, marchands de sommeil » ⬇️ #BALANCETONTAUDIS https://t.co/2R9VNwLult pic.twitter.com/hm9Pm7k0zT
— David Coquille (@DavidLaMars) November 8, 2018
Dans le hall d’un grand hôtel marseillais, tout près du stade Vélodrome, deux jeunes mamans prennent leur petit déjeuner. L’une porte le même pyjama depuis une semaine, celui qu’elle avait sur elle le jour de son évacuation. L’autre, un petit garçon dans les bras, raconte qu’elle vient d’investir toutes ses économies pour meubler son nouvel appartement. Habitante de la rue d’Aubagne, où trois immeubles se sont effondrés la semaine dernière, elle en a été évacuée en urgence avec son mari et ses deux autres enfants. Relogés provisoirement ici, ils s’inquiètent de savoir comment assumer les frais d’une nouvelle location.
Personne ne nous dit rien, il faut secouer le poulailler pour avoir des réponses.
Belsunce, breakdown ?
834 marseillais, selon la mairie, se trouvent dans la même situation, et ce chiffre est en constante augmentation. Alice, 26 ans, elle aussi installée à l’hôtel avec son chat, se bat « à temps plein depuis dix jours » pour obtenir des informations sur son logement déclaré en péril. « Personne ne nous dit rien, il faut secouer le poulailler pour avoir des réponses. » Un temps dépassés par les événements, les pouvoirs publics parviennent désormais à mettre en œuvre des procédures de relogements dans des habitats sociaux, et planifient l’ouverture d’un centre d’aide ce lundi. Un numéro vert est également à disposition pour quiconque souhaite bénéficier d’un conseil juridique. Les services de la Croix-Rouge, aussi, sont déployés dans les zones touchées. Selon Marsactu, webzine local indépendant, « collectivités territoriales, élus et ministres échafaudent des plans pour résoudre le problème de l’habitat indigne à Marseille. Mais avant de passer à l’action, il leur faudra parvenir à accorder leurs violons. »
10 000 personnes sur la Canebière
Dans la soirée du mercredi 14 novembre, près de 10 000 personnes se sont rassemblées de la Canebière jusqu’au Vieux-Port, à l’initiative des collectifs d’habitants du centre-ville concernés par l’habitat indigne. Le but de cette manifestation ? Exprimer une colère qui, à Marseille, ne cesse de monter. Jean-Claude Gaudin, maire de la cité phocéenne depuis 23 ans, est le principal mis en cause. Il cristallise en effet la situation du logement insalubre, profondément ancrée dans l’histoire de la ville. Son attitude indifférente et ses choix d’urbanisme, comme celui de faire construire une patinoire pour la modique somme de 56 millions d’euros, suscitent la révolte.
Très attachée à Belsunce – le quartier populaire de Marseille que Bouga chantait en l’an 2000 -, Alice ne le quitterait pour rien au monde. Son nid se trouve au cœur de l’historique rue Thubaneau, et l’immeuble dans lequel elle vit a été déclaré insalubre en 2016 après que deux enfants soient passés au travers du sol du premier étage. Il présente aujourd’hui des signes inquiétants de ressemblance avec ceux de la rue d’Aubagne. Affaissement manifeste de la toiture, portes qui ne ferment plus tant elles sont gonflées par l’humidité, rats, fissures et dégâts des eaux récurrents… Déjà habituée à se démener pour obtenir des travaux et des procès-verbaux, Alice a contacté les pompiers suite aux effondrements. Depuis, sa vie est devenue ubuesque : « La communication entre la mairie et les habitants est digne du téléphone arabe. Il faut se battre pour obtenir des informations concernant nos droits, comme d’être pris en charge à l’hôtel ou bénéficier d’une carte de métro. »
Un défilé d’experts – plus ou moins compétents – mandatés par la Ville, de policiers et de pompiers occupe désormais son quotidien. Le quatrième étage de son immeuble, où elle habite, a été déclaré « en état de péril imminent et grave ». L’odeur d’humidité y est écoeurante et la salle de bains d’Alice est désormais en pente. La cage d’escalier est elle aussi truffée de fissures et de traces d’anciennes inondations. Sarah, sa voisine qui occupe le deuxième étage, n’est pour sa part et de manière inconcevable, pas concernée par l’arrêté de péril… Depuis dix jours, les deux jeunes femmes ont mis leur vie entre parenthèses pour organiser leur déménagement et venir en aide à leurs voisins.
Sarah et Alice organisent régulièrement des « réunions de crise ». Parler à la presse, faire des courses pour les associations, échanger avec des architectes, gérer les déboires de leur agence immobilière, tenter de récupérer leur caution auprès d’un propriétaire de mauvaise foi, trouver un nouveau logement, prendre part aux manifestations, se tenir informées pour informer elles-mêmes…
La police est venue sonner chez moi le jour des effondrements et m’a demandé d’évacuer immédiatement, sans me dire pourquoi
Une détermination de chars d’assaut les anime. Leurs proches envisagent de quitter Marseille ou leur demandent ce qu’elles y font encore. Bien décidées à faire bouger les choses, elles déploient la même énergie que bon nombre de marseillais au coeur de la tempête. Sylva, la soixantaine, raconte « La police est venue sonner chez moi le jour des effondrements et m’a demandé d’évacuer immédiatement, sans me dire pourquoi. J’ai quand même pris le temps de faire une valise avec tous mes bijoux ; ce sont des faux mais j’y tiens beaucoup, je veux les offrir à mes petits-enfants. Je suis tout le monde, car je ne connais pas les lois. Ma famille a proposé de me loger, mais j’ai refusé. Je ne veux pas me laisser faire. »
Ne pas se laisser faire
« Ne pas se laisser faire ». Un discours que l’on retrouve beaucoup au fil des conversations avec les riverains. Selon un rapport de la société locale chargée du réaménagement du centre-ville marseillais daté de janvier 2018, 48% des immeubles de Noailles, de Belsunce et du Panier sont indécents. Benoît Gilles, journaliste chez Marsactu, informait déjà il y a près de trois ans de la dangerosité du 63, rue d’Aubagne. L’inertie des pouvoirs publics quant à la rénovation de ces immeubles, qui aujourd’hui n’existent plus et ont emporté la vie de plusieurs personnes, pose question.
À quelques pas des décombres, Rue de l’Arc, le local du collectif 5 novembre a ses portes grandes ouvertes. Le téléphone d’Afida, sa responsable, n’arrête pas de sonner. Les habitants viennent déposer des dons, les évacués chercher un repas chaud ou des informations sur leur relogement. Tout à coup, elle exulte : sur son smartphone, une notification l’informe qu’Arlette Fructus, adjointe au maire au logement, a été suspendue de ses fonctions. Une nouvelle qui sonne pour le petit groupe qui l’entoure comme une victoire sur l’impunité.
Visuels © Mathilde Beaugé