Make bamboche great again : autrice d’un ravissant calendrier « biblio-météorologique », cette illustratrice parisienne esquisse à voix haute l’accès au pouvoir du lapin blanc d’Alice aux pays des merveilles.
Au début de cette histoire, il y a ce cliché tenace : « Les éditeurs se plaignent de ne recevoir que des autofictions dont la première phrase évoque immanquablement le climat. » Née en 1990, l’illustratrice parisienne Marthe Pequignot, formée aux Arts Décoratifs de Strasbourg, a pris cette affaire très au sérieux. Pendant trois ans, elle s’est livrée à une « chasse aux livres » pour trouver des romans qui, ah oui tiens, démarrent tous par une allusion au temps qu’il fait. Cela donne aujourd’hui Bibliométéo, son premier ouvrage publié aux éditions Intervalles sous la forme d’un « calendrier perpétuel ». Soit 48 incipit(s), printaniers ou hivernaux, gelés ou caniculaires, illustrés par ses soins via de belles aquarelles, au crayon à papier et à l’encre de Chine, lettrées à la main.
Exemples ? « Je connais bien le ciel. Je m’y suis habitué. Toutes ses nuances terre d’ombre, tilleul, chair ou safran. Je connais. » (Jean Echenoz, Nous trois.) « La route du bord de mer, à Santa Monica, près d’Hollywood, s’allongeait droite, implacable sous la ronronnante Jaguar de Paul. Il faisait chaud, tiède, l’air sentait l’essence et la nuit. Paul roulait à 150. » (Françoise Sagan, Le Garde du cœur.) Et que dire de la « mystérieuse pluie de pierres » dont les dégâts sont estimés « à environ 25 dollars » et qui ouvre Carrie de Stephen King ? De la « douceur de l’air » dont il faut « se méfier » car on pourrait « se laisser aller à la nostalgie de l’amour et des caresses » dans le délirant Jérôme de Jean-Pierre Martinet ? Ou de Jonathan Franzen, dans ses Corrections : « La folie d’un front froid balayant la prairie en automne. On le sentait : quelque chose de terrible allait se produire. »
Pas si terrible. Grimpant (avec son échelle télescopique) sur le pont de L’Arche de Nova, Marthe Pequignot repasse de l’autre côté du miroir pour s’engouffrer dans les premières lignes d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. « « Alice commençait à se sentir très lasse de rester assise à côté de sa sœur, sur le talus, et de n’avoir rien à faire ; une fois ou deux, elle avait jeté un coup d’œil sur le livre que sa sœur lisait, mais il ne contenait ni images ni conversations et, se disait Alice, à quoi peut bien servir un livre où il n’y a ni images ni conversations ? »
Flash : Marthe revoit le lapin blanc, si pressé, perpétuellement en retard, comme nous avec nos smartphones, assailli.e.s « d’injonctions contradictoires ». Mais sa montre à gousset se casse et le voici au pouvoir, à l’heure sur les réformes : distribution de carottes et interdiction de la méthode de la carotte et du bâton, célébration perpétuelle de nos non-anniversaires, livraison mensuelle d’une « dose de bonheur » avec « des ampoules », pour avoir de bonnes idées ; un mégaphone, pour crier sa colère « jusqu’à ce que les voisins applaudissent » ; et bien sûr une échelle, pour retrouver les livres perdus au fond des bibliothèques.
Image : Alice au pays des merveilles, de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson & Hamilton Luske (1951).