Les photos de Martine Barrat dans le Bronx des 70’s sont exposées au centre culturel La Place à Paris jusqu’au 24 novembre.
C’est l’histoire d’une expatriation. En 1968, Martine Barrat, alors danseuse professionnelle à Paris, reçoit un billet d’avion vers les États-Unis. C’est Ellen Stewart, pionnière du théâtre « Off Off Broadway » à New York, qui lui fait parvenir ce billet. Ellen Stewart est coutumière du geste : elle fait constamment venir de jeunes danseurs internationaux dans ses théâtres du Lower East Side. Une brillante carrière s’annonce ainsi pour la jeune danseuse, mais s’arrête brutalement quelques années plus tard lorsqu’un pied cassé l’empêche définitivement de danser. Alors, au début des années 70, Gilles Deleuze et Félix Guattari, les amis philosophes de Martine Barrat, lui offrent sa première caméra. Elle entame un projet dans le Bronx, auprès de deux gangs, les Roman Kings et les Ghetto Brothers.
« La caméra nous appartenait à tous »
Son but n’est pas de les filmer les gangs, mais que les gangs se filment eux-mêmes. Le projet est avant tout collaboratif : « La caméra nous appartenait à tous, à chacun de nous », se souvient la photographe. L’appareil circule, et immortalise des scènes qui placent aujourd’hui Martine Barrat comme une véritable archiviste du Bronx de l’époque.
Mais à nouveau, le destin façonne différemment son projet. Alors barmaid dans un club de jazz pour arrondir ses fins de mois, la photographe rentre un soir au Chelsea Hotel (mythique lieu peuplé d’artistes en devenir qui abrita notamment Patti Smith ou le photographe Robert Mapplethorpe) où elle réside, pour s’apercevoir que la caméra a été volée : « C’était un grand désespoir pour nous tous », nous raconte-t-elle, « car nous n’avions plus notre instrument de travail. Quelques jours plus tard, Pearl [le président du gang des Roman Kings, ndlr] m’offrait mon premier appareil photo, parce qu’il ne voulait pas que je sois triste. Je n’ai jamais pensé que je voulais faire de la photo, vous voyez. C’est eux qui ont décidé que je devais être photographe. »
« C’est eux qui ont décidé que je devais être photographe »
Heureux hasard qui fait finalement de Martine Barrat la témoin d’un Bronx en ébullition, dans lequel est en train de naître le hip-hop. « Dans le Bronx, il y avait de la musique tout le temps. Dans les décombres, au milieu des rats et des maisons qui brulaient, car les habitants les incendiaient pour toucher l’argent des assurances. Il n’y avait pas de chauffage, pas d’électricité, les gens sortaient la nuit pour se chauffer avec des bouts de bois. Vickie, la présidente des Roman Queens, surnommait le quartier la “Corée”, car pour elle il s’agissait d’un terrain de guerre. »
En 1978, le travail de Martine Barrat est exposé au Whitney Museum. « Ce fut un immense succès. Après ça, je ne suis jamais retournée dans le Bronx », explique la photographe, qui compte pourtant toujours parmi ses amis d’anciens membres des gangs. « Il n’y a que de l’amour dans mes photos du Bronx. C’est pour ça qu’elles ont dérangé les gens, qui voudraient que les pauvres n’aient pas d’amour entre eux. »
Des 103 heures de vidéo issues de son travail de terrain, elle a fait un film, Getting Lite, diffusé le 11 octobre dernier au Centre culturel La Place à Paris, dans le cadre de l’Urban Films Festival 2018. « Ça a été un grand succès, à tel point que beaucoup de gens n’ont pas pu rentrer. » Que les déçus se rassurent, une nouvelle projection est prévue au Centre FGO Barbara (Paris XVIIIe), le 23 octobre prochain. La Place expose également jusqu’au 24 novembre les photographies de Martine Barrat, dont voici un aperçu.