Ce conducteur de trains, étudiant du master de création littéraire de Paris-VIII, déraille le temps d’une dystopie où chaque parole prononcée est facturée par des multinationales. Mais qui s’offrira le mot « révolte » ?
« Je vole des mots au détour de conversations sur les quais, je les attrape avec plus ou moins de brio selon la vitesse de la locomotive, en les regroupant ensuite dans un petit carnet pour qu’ils ne se sentent pas trop seuls. » D’origines « calabraise, dauphinoise, bretonne et lyonnaise », Mattia Filice vit à Paris et conduit des trains depuis plus de quinze ans, en poste de départ(s) à Saint-Lazare. Mais depuis plus longtemps encore, ce cheminot crée des correspondances entre la parole, le son et les images, via des petits objets filmiques inachevés. Inscrit au master de création littéraire de Paris-VIII, il envisage désormais de publier un livre inspiré de son expérience ferroviaire, à plus d’un titre d’ailleurs, avec « des accélérations et des freinages, des arrêts et des enrayages ».
Le seul déraillement qu’on lui souhaite est celui qu’il nous confie. Sur le quai où L’Arche de Nova est amarrée, Mattia imagine une dystopie où chaque parole est facturée par des multinationales. « Les mots seront PROPRIÉTÉ PRIVÉE et nous les louerons le temps d’une prononciation. On prétendra qu’il s’agit de lutter contre la pollution, car parler dégage du Co2. » Le prix variera selon le nombre de lettres, le poids syllabique, « la mode » et le cours de la bourse. Telle compagnie s’appropriera tout le vocabulaire du sentiment, une autre fera des promos « sur la famille des lépidoptères pour pouvoir nommer les noms des papillons à vos enfants pendant une randonnée ! » Les opérateurs téléphoniques incluront dans leur forfait un nombre de termes à ne pas dépasser. De même pour les salariés pour qui les entreprises auront des abonnements sur un lexique précis.
Au quotidien, des micros seront disposés « tous les quatre mètres carrés » pour nous faire raquer. « Une caste de nouveaux riches se pavanera, dépensera sans compter ; la logorrhée sera un luxe. Pour les autres, il faudra être concis, bien peser ses mots ». Et cela, jusqu’au « Grand Silence ». Mais…
(L’enregistrement de cette vision futuriste a coûté 515 euros à son auteur. Merci de l’écouter jusqu’au terminus.)
Habillage : Juste Bruyat.
Image : Brazil, de Terry Gilliam (1985).