L’histoire des tatouages de la fin du 19ème au début du 20ème siècle.
Les Editions Allia ont eu la bonne idée de proposer un petit fascicule racontant l’historique des tatouages autour de 1900 . Et cette fin 19ème, début 20ème, devrait faire réfléchir les actuels amateurs d’encre sur peau …
En effet, à part la tradition anglaise des marins – même les lords avaient leurs inscriptions de marins sur le corps – et quelques orthodoxes russes égarés, les français étaient majoritairement des enfants perdus entre bagne et bat d’Af (bataillons disciplinaires d’Afrique) .
Car à cette époque ingrate, le tatouage était l’apanage des pauvres ouvriers, des bagnards et autres exclus de la société bourgeoise, et la première chose à inscrire sur soi était la définition : « enfant du malheur ».
À la suite de quoi ces exploités continuaient de graver leurs C.V. (curriculum vitae) sur eux-mêmes : une sorte de carte d’identité, pour ces enfants sans papiers et souvent sans logis, autre qu’un cachot, une caserne, une tente, une cabine .
Ainsi trouve-t-on les métiers, outils, puis la religion, et enfin les rencontres notées sur sa poitrine et ses bras, afin d’y lire un peu sa vie, ses croyances.
Et, lorsque l’on n’avait pas d’intérieur douillet à décorer, alors on décorait son propre corps, et c’est ainsi que des anges, des généraux, des célébrités vont venir peupler torses et cuisses.
Les motifs de femme
Puis viennent les motifs de femme, souvent traîtres et maudites, mais aussi idéalisées ou érotisées : couchées, nues, fumant ou coïtant. Les phallus volants avec paire d’ailes sont mes favoris, surtout lorsque le tatoué l’apposait sur ses maitresses, sur fesses, ventres ou cuisses.
Enfin les pensées ou inscriptions, entre foi et révolte : « Ami du contraire, pensez à moi, mort aux femmes infidèles, honneur aux martyrs, la liberté ou la mort …« . Ce petit livre vous dira même les pourcentages de ces inscriptions.
La police s’en servait comme signe de reconnaissance, afin d’identifier et ficher ces délinquants et marginaux : ex-soldats, marins ou hommes de peine, qui avaient eu la bonne idée de leur offrir sur un plateau des « signes particuliers », qui feront office de preuve pour les condamner (la méthode des empreintes « Bertillon » était alors balbutiante).
L’histoire d’un homme qui tatouait toutes les femmes de sa famille, y compris filles et belles-sœurs de dessins érotiques m’a aussi touché, par le côté « graffitis sur personne », qui prouvait son autorité et son orientation. Tel un anti-seigneur, il avait inventé le droit d’encrage sur son entourage féminin !
Il sort de ces histoires et témoignages, souvent médicaux ou policiers, une tristesse digne du 19ème siècle, encore féodal en France, car la société industrielle naissante était sans pitié pour ses enfants.
Les tatoués d’aujourd’hui imiteraient donc ces bagnards, tolards, condamnés, maudits et damnés de la terre ? Rien d’étonnant : les jeux vidéos simulent guerres et combats, massacres et destruction et nos enfants s’en régalent.
À fleur de peau. Médecins, tatouages et tatoués. 1880 -1910 . Editions Allia ( présentation Philippe Artières ) 75 pages .6 euros
PS : Les tatouages de bottes sur sexe masculin n’étaient fait que pour pouvoir clamer le mauvais jeu de mots « botte dans le cul ».
Visuel : © Wikipédia / Lt. Comdr. Charles Fenno Jacobs (1904-1975) for the U.S. Navy